Tout autour de nous, dans l’espace urbain, collectif, les objets fonctionnels dominent. Raides, neutres, ce sont des objets mornes qui font partie du décor sans que nous les remarquions, dédiés à un seul usage, toujours le même.
Ils participent, pour nombre d’usagers, à créer ces espaces que Marc Augé, dans son célèbre ouvrage Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité (1992) désignait comme « non-lieux » : interchangeables, anonymes, peu propices à l’échange et la rencontre, et proprement inhabitables. Le non-lieu par excellence, c’est l’espace d’attente du transport en commun, où l’on perd son temps. Pourtant, il est possible d’imaginer, pour ces inévitables espaces publics, d’autres fonctions, d’autres usages, qui ne renvoient pas immanquablement l’usager à sa solitude et à l’ennui ! C’est toute l’ambition d’un programme dont l’utopie apparente cache un véritable désir de transformer radicalement les espaces urbains que nous partageons : le projet Osmose.
Osmose & le projet EBSF : un programme européen d’urbanisme
Programme lancé par la RATP, dans une volonté de transformation progressive de ses stations de bus et de métro, Osmose rejoint un projet européen plus vaste : European Bus System of the Future (EBSF), qui rassemble 47 partenaires autour d’une idée maîtresse : « l’idée qu’un espace de transport ne sert pas qu’au transport » (Yo Kaminagai, délégué à la conception au département Les Espaces à la RATP). La station n’est plus un espace d’attente, un non-lieu, elle doit pouvoir accueillir l’effervescence, les usages et les ressources de la ville. Elle devient l’équivalent de la place du marché : un endroit où tout le monde se croise, où les fonctions se mêlent, un catalyseur de la vie publique.
Être dans la station peut devenir un plaisir lorsqu’on y évolue en liberté, dans des espaces ouverts qui communiquent les uns avec les autres, où des services nouveaux sont proposés sans gêner la marche de l’usager. On peut s’y reposer, profiter de services administratifs, découvrir de nouvelles sensations grâce aux matériaux, à la lumière, au son. Dans la perspective du développement durable, la station du futur devra en outre faire face à la densité urbaine, de plus en plus forte : la station, moins confinée, peut aussi se rendre utile, en fournissant par exemple de l’énergie pour les appareils portables.
De même, la station peut s’ouvrir sur le quartier qui l’intègre, en offrant des services aux habitants, sans se replier autour de sa seule, unique et morne fonction. Ces aspects, repensés, permettront de faire du temps de transport un temps qui n’est plus subi. Dans plusieurs capitales européennes, le projet EBSF est d’abord un espace de réflexion sur les usages dans les temps de transports. Néanmoins, de nombreux prototypes voient le jour, réalisations heureuses d’une utopie en passe de devenir réalité. Ainsi, en France, la station de bus Osmose fut, à Paris, l’occasion d’une unique expérimentation en situation réelle.
La station de bus Osmose : penser la station du futur
Intégrée au programme Osmose lancé par la RATP en 2009, designée par Marc Aurel, la station Osmose est une station expérimentale proposée pendant six mois aux usagers, à partir de mai 2012, boulevard Diderot à Paris. C’est une station dite enrichie, ou augmentée, qui va au-delà de sa fonction initiale, et qui s’ouvre sur le quartier du 12e arrondissement de Paris, proposant aussi des services à ses habitants. Le choix de son emplacement, bd Diderot, n’est pas un hasard : carrefour de plusieurs lignes diurnes et nocturnes, elle voit défiler 15 000 voyageurs par jour.
Ce qui se trouve augmenté, c’est d’abord sa taille : 85 m2 de plancher, 35 m2 abrités, au lieu des 6 m2 habituellement dévolus à un Abribus. Ensuite, c’est un espace où les voyageurs sont véritablement accueillis : multiplication des supports d’information, dont des panneaux tactiles qui renseignent en temps réel sur l’actualité de la ligne, mais aussi du quartier (actualité culturelle, offre de services, petites annonces). Les services proposés sont nombreux et variés : bibliothèque en libre-service, miroir, prises électriques et wifi, corner offert à des commerces ambulants proposant à la vente café et snacks, station intégrée de vélos électriques en libre-service…
Enfin, la station Osmose voit son design entièrement repensé pour le confort (chaleur douce en hiver, sièges nombreux et confortables) et le plaisir de l’usager (ambiance sonore et lumineuse évoluant au fil de la journée et de la nuit, dessin original, creusé, ouvert, recourant largement à la transparence, des parois). Cette « station multiservice offre un concentré de ce qu’on aimerait tester auprès des voyageurs », alors que le confort aujourd’hui d’une station classique « n’est pas au niveau de ce qu’il devrait être » (Yo Kaminagai).
Aujourd’hui, la station Osmose est encore visible boulevard Diderot, même si plusieurs services expérimentaux n’y sont plus proposés. Jouant son rôle de pilote, elle reste le modèle de la station du futur, répondant au cahier des charges que la RATP voudrait étendre au Grand Paris, à long terme. Elle est distinguée par plusieurs prix, comme l’Étoile décernée par le jury de l’Observateur du design 13 en novembre 2012, le Janus de la prospective 2013 attribué par le jury de l’Institut français du design, et le Prix du design lors des UITP International Awards, le 26 mai dernier.
Face à un tel succès, la RATP et la mairie de Paris ont décidé de prolonger l’aventure en maintenant la station en activité.