En 2009, les travaux de reconstruction des souks de la capitale du Liban ont commencé.

Le chantier est énorme : durement touché pendant la guerre civile, le centre de Beyrouth aura besoin de plusieurs années de travaux pour être entièrement rénové, sous la direction de Solidere, la société libanaise pour le développement et la reconstruction. Les souks historiques forment un ensemble particulièrement sensible : partie intégrante de l’identité de la ville, il n’en reste que des vestiges. Comment préserver cette identité, en rénovant entièrement les quartiers ? Plusieurs architectes, dont l’espagnol Rafael Moneo et le paysagiste français Olivier Vidal, ont participé à rebâtir les souks dans une perspective de modernisation, tandis que la réalisation du mobilier urbain fut confiée à l’agence Aurel design urbain.

Une rénovation nécessaire : historicité et modernité

Si les souks historiques demeurent dans la mémoire et l’histoire des libanais, ils furent ravagés par quinze années de guerre, et laissés à l’abandon pendant trente ans. Préserver intégralement l’âme des anciens souks, dont certains vestiges ont pu néanmoins être conservés ou évoqués, notamment à travers les plaques indiquant les noms des ruelles d’autrefois, restait utopique. Leur architecture fut ainsi repensée dans le sens d’une modernisation radicale, sur six complexes urbains répartis sur une superficie globale de 60 000 m2, pour un coût final estimé à 100 millions de dollars.

Ce nouvel ensemble regroupe des commerces, mais aussi des bureaux, des cinémas, des restaurants et des espaces verts. Intégrés à ce nouveau paysage urbain, des vestiges archéologiques coexistent en harmonie, comme la mosaïque restaurée du souk Al Franj ou le mur médiéval qui longe le souk Jamil. Dans les lignes architecturales, toutes en voûtes élégantes, en couloirs longs et hauts, en places étirées où l’intérieur et l’extérieur se confondent, dans l’entrelacs des ruelles, dans les couleurs minérales, l’esprit des souks affleure.

« Visiter les souks aujourd’hui offre un voyage culturel dans l’espace et le temps, lorsque l’on perçoit l’historicité des lieux à travers leur design contemporain », suggère Solidere, qui insiste sur l’aspect labyrinthique des souks aujourd’hui, où l’on peut se perdre, s’aventurer, de surprise en découverte, au gré d’un espace complexe mais ouvert, épuré et confortable.

Le mobilier des souks : le confort d’un salon

Dans cet espace presqu’entièrement rénové, comment élaborer le mobilier urbain ? Nous sommes repartis de la conception essentielle de Rafael Moneo, dont l’architecture sophistiquée se fonde sur un effacement des frontières entre l’intérieur et l’extérieur, visant un espace continu où rien n’entrave la déambulation du visiteur.

L’espace extérieur offre un rapport entre confort et qualité comparable aux espaces intérieurs : le dehors devient une extension du dedans pour offrir du bien-être dans des lieux conçus comme des salons. Assises aux apparences de sofas, jardinières inspirées de vases : il s’agissait de concevoir des objets à l’aspect familier, renvoyant à l’intimité et au confort du foyer, pour une meilleure appropriation des usagers, et pour une intégration qualitative à l’environnement architectural des souks.

Ainsi, à travers leur mobilier, les souks demeurent-ils ces lieux où l’on se promène autant que l’on fait son shopping, où l’on s’arrête autant qu’on les traverse : des lieux à vivre.

Matériaux et couleurs : harmonie et singularités

Si le mobilier extérieur exige le même niveau de qualité, de beauté et de confort qu’un mobilier d’intérieur, la question des matériaux, des motifs et coloris redevenait essentielle. Là aussi, c’est la continuité de l’architecture et du mobilier qui guide nos partis pris : la palette de couleurs de l’architecture, riche en nuances de brun et d’ocre, nous a inspirés pour composer des gammes de coloris complétant le travail de texture.

Le mobilier à l’aspect brillant et satiné contraste avec les façades et les sols en pierre mate, pour affirmer définitivement son appartenance à l’univers de l’espace intérieur. Des matériaux inattendus dans l’espace urbain, comme la céramique ou le cuivre, complétés par un travail sur le motif en texture de surface pour les assises, permettent d’atteindre une beauté visuelle et un degré de confort qui invitent, dans l’espace urbain, à une expérience sensorielle au-delà de la seule fonctionnalité des éléments.

Grâce à la collaboration avec Solidere, nous avons pu développer des nouveaux usages, de nouveaux matériaux, comme la céramique, particulièrement adaptés au mobilier urbain, en termes de durabilité, d’entretien, mais aussi de beauté et de texture. Des éléments de mobilier dessinés pour Beyrouth se composent ainsi d’un tressage de céramique sur une structure en aluminium et acier, ou d’une résine avec un traitement céramique lui donnant l’aspect de la porcelaine.

Cette exigence de qualité, dans le détail, dans les matériaux, dans les finitions, nous ont demandé deux ans de travail avec différentes entreprises, pour obtenir le résultat souhaité. Ce projet d’importance, atypique et exigeant, nous a permis d’augmenter nos propres exigences de qualité dans la réalisation du mobilier, et de pousser dans ce sens nos partenaires industriels. Ce mobilier volontairement décoratif, novateur, jouant sur des matériaux, des aspects de surface, ainsi qu’une organisation spatiale particuliers, permet de créer un univers à forte identité libérant notre imaginaire du conformisme de l’urbain.