Qu’est-ce que la mobilité urbaine ? Quelle est la spécificité du modèle français ?
Il faut d’abord s’interroger sur les origines de la mobilité : les sociétés se sont construites autour des échanges entre les individus. Du troc est né le commerce, du commerce est né le mouvement. Dans ce cadre, la ville a très vite imprégné la notion de déplacements et plus généralement de mobilité car on s’est posé la question suivante : comment faciliter l’accès aux commodités ? En effet, une ville sans mobilité n’a pas de sens.
Le modèle français de la mobilité urbaine s’envisage autour de la notion d’espace public, une caractéristique assez propre aux pays latins. Au contraire, dans les pays d’Outre-Manche, on parle plutôt d’espace collectif. Quelles sont alors les différences ? En France, tous les projets qui visent à améliorer la mobilité urbaine, comme les projets de tramways, sont d’ordres politiques. En effet, c’est la puissance publique qui est à l’initiative de ces projets, cela donne toujours une dimension emblématique aux politiques. C’est pour cela que concevoir l’idée d’un péage urbain est complètement invraisemblable en France ! Dans d’autres pays, la mobilité est un service collectif et non une chose publique.
Quels sont les axes d’approche de votre travail ?
Nous concevons des bâtiments et des aménagements pour l’espace public autour de deux grands axes.
Notre première priorité est de rendre l’expérience de l’usager, de l’habitant, des utilisateurs ou des automobilistes la plus agréable possible. Nous tâchons de nous projeter dans le ressenti de l’utilisateur en captant l’esprit des lieux, de l’environnement et en comprenant ses usages. Nous faisons en sorte que l’expérience du déplacement du corps dans un espace soit positive. Les espaces doivent être beaux, bien conçus, bien dimensionnés et bien visibles. Voilà ce qui porte notre approche. Dans un second temps, nous cherchons à changer le rapport que nous avons à la nature en ville. Nous avons compris que la nature devait se réinventer en ville : il n’y a plus de domination valable, nous devons jouer avec elle sans la bafouer. Les villes d’aujourd’hui sont plus riches car elles respectent les systèmes végétaux. Par exemple en optant pour des plantations au fil des saisons, en faisant attention au cycle de l’eau ou en recyclant. Bien sûr le modèle n’est encore pas ancré dans toutes le mentalités, mais nous tendons petit à petit vers cette approche des villes durables, les villes “biotopes”.
Est-ce la même approche dans d’autres cultures ?
La façon dont nous concevons les espaces en France est évidemment différente des autres pays. Dans notre travail, nous avons le soucis de l’accès de l’utilisateur à la mobilité urbaine et aux transports en commun. En Asie, au niveau du discours, tout le monde est d’accord pour valider l’intérêt de nos villes françaises en matière de mobilité (exemple : nos tramways). Mais dans la pratique, la culture est assez différente et rend tout projet global difficile à mener. Les modes d’organisation encore fébriles handicapent la réalisation de projets de cette ampleur. Aussi, la suprématie de l’automobile n’aide en rien au développement de tels projets dans ces régions du monde. À l’inverse, lorsque l’on s’intéresse aux projets menés dans des villes comme Copenhague, on voit que le rapport à la nature ne se discute pas. Le déplacement à vélo est plus important et la nature est au cœur de tous les projets urbains.
Parlez-nous de votre projet pour la ville de Sydney, quelles sont les différences ?
Pour la ville de Sydney, je suis intervenu en tant que conseiller de la ville dans la construction d’un tram. J’avais face à moi la problématique d’insertion urbaine du tram dans la ville. Les modèles français sont de beaux exemples de réussite où l’intégration du tram est parfaite et permet de repenser la ville. Dans ce projet australien, la différence fondamentale avec notre approche française est institutionnelle. J’étais face à plusieurs autorités qui n’étaient pas forcément locales. Le dialogue est alors plus compliqué quand il y a différentes interfaces à réunir et à convaincre. De plus, la vision du tram est parfois bridée : il est vu comme un train dans la ville, les australiens ayant en tête des exemples et des références ferroviaires. Or, le tramway n’est pas qu’un mode de transport, il peut devenir un véritable atout dans une ville, comme le démontre nos nombreux projets français.
Quelle est votre vision du transport en commun pour les 30 années à venir ?
Impossible de penser à l’avenir sans constater la raréfaction croissante de l’espace en ville. Dans 30 ans, aussi, l’énergie électrique sera monnaie courante : les véhicules seront autonomes et toute circulation sera électrique. Naturellement, la mobilité individuelle motorisée sera plus facile avec des systèmes d’autolib modernes. Les besoins de stationnement se feront plus rares car la ville sera pensée autour d’espace de rechargement électriques. D’un autre côté, nous aurons toujours besoin des transports collectifs aux heures de pointe, ils resteront indispensable. Mais ces derniers devront être plus attractifs et la qualité de service devra être irréprochable pour concurrencer avec le confort de la mobilité individuelle. Les transports collectifs devront aussi répondre à de nouvelles questions juridiques : comment réguler les bus et tramways sans chauffeur ? Quelle police ? Comment faire en cas d’accident ? Les règles sociales seront à réajuster. Dans tous les cas, il nous reste de beaux projets à mener pour les années à venir avec plein de nouveaux défis.