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Rencontre avec Bridget Smyth, directrice du design de la ville de Sydney

George street, Sydney
George street, Sydney

Architecte et urbaniste, Bridget Smyth est la Directrice du design de la ville de Sydney, en Australie. Elle nous explique ce que sont les missions de la « Directrice du design » d’une ville et comment le design peut aider à concevoir des villes meilleures, plus humaines. Bridget Smyth livre aussi sa perception des différences culturelles et urbanistiques entre l’Australie et l’Europe….

L’Observatoire du design urbain : Quelle est votre mission à la mairie de Sydney ?

Bridget Smyth : Je suis la Directrice du design de la ville. Je suis également architecte et urbaniste. Dans le cadre de ces fonctions, je suis responsable de la conception, du « modelage » quasiment, des espaces publics de la ville de Sydney mais également de ses espaces bâtis. Mon objectif : que nous soyons en phase avec notre projet stratégique : Sustainable Sydney 2030.

Vous avez dit dans une vidéo que vous « testez de nouvelles approches de conception des espaces publics » : quelles sont ces nouvelles approches ?

Nous avons pour ambition de revitaliser le centre ville de Sydney, d’améliorer son habitabilité et de faire en sorte que les gens y passent plus de temps – pas uniquement pour faire du shopping ou travailler.
L’un de nos projets concernait par exemple les ruelles du centre-ville, totalement sous-développées. Nous avons lancé une politique de revitalisation de ces ruelles en incitant des commerces à s’y installer grâce à des aides financières. Nous avons conçu une stratégie de développement de l’espace public et mis en œuvre un plan visant à la revitalisation de ces lieux.
Etant donné que ce type de changements prend du temps, énormément de temps, nous voulions créer une impulsion pour obtenir de premiers résultats intermédiaires. Alors nous avons lancé un projet pilote expérimental.

Expliquez-nous ce projet…

Ce projet s’appelle s’appelle By George car il se concentre sur les ruelles adjacentes à cette artère majeure de Sydney qu’est George Street. Nous avons invité des artistes et des architectes à concevoir de petites interventions dans les ruelles, sur une période de 6 mois. Cette initiative nous a permis de tester une foule d’idées de revitalisation de ces espaces, avec le long terme toujours à l’esprit. Ce projet By George a aussi permis de faire connaître notre stratégie de revitalisation de ces ruelles.
5 ans après, le bilan est très positif : nous avons accueilli les expérimentations de plus de 50 artistes et architectes, développées dans plus de 20 ruelles de notre ville. Et surtout plus de 80 petits bars ont ouvert dans ces petites rues, partout dans Sydney.

Quels objectifs poursuivez-vous en « remodelant » les espaces publics, à Sydney en particulier ?

Nous croyons à la création d’espaces publics connectés, accessibles à tous – offrant de nombreux équipements. Cela implique une véritable prise en compte de la structure du paysage, des lieux pour que les gens s’assoient mais aussi la possibilité de raconter une histoire, l’histoire de qui nous sommes nous, les habitants de Sydney – en laissant en particulier une large place à l’histoire des premiers habitants de ces lieux.
Nous travaillons en équipes interdisciplinaires pour tous ensemble transformer les espaces publics de notre ville – et les artistes sont des éléments essentiel de ce processus.

George street, Sydney

George street, Sydney

Que pensez-vous de l’approche européenne en matière de structuration de l’espace public ?

De mon point de vue, les villes européennes font souvent preuve d’un peu trop de formalisme dès qu’il s’agit de planifier et designer leurs espaces publics. L’Australie est une jeune Nation, nous avons donc moins de traditions, ce qui nous permet de concevoir le design urbain libéré de tout poids du passé.
Cependant, en Europe l’espace bâti donne un aspect très stimulant à l’espace public (par exemple à Paris, le Palais royal ou la place des Vosges). Ici, en Australie, nous devons souvent travailler très dur pour s’assurer que le public entre en interaction avec nos bâtiments. Alors pour rendre ces bâtiments, ces espaces publics, « actifs », nous sommes contraints à créer du désordre et à les privatiser. La culture française de l’urbanisme m’a toujours semblé au contraire libérée du désordre visuel, élégante et permettant une véritable sensation d’ouverture.

Percevez-vous des points communs entre ce qui se fait en Europe et la politique que vous menez à Sydney ?

Oui, il me semble que nous nous battons tous pour que nos espaces publics soient conviviaux et ouverts à tous. Nous avons aussi à cœur d’entreprendre des projets durables et égalitaires. Pour moi, c’est un point commun très fort. Si les villes deviennent trop polarisées, si on ne prend pas garde à la montée des inégalités sociales, nous obtiendrons des villes invivables – pas des villes vivables et pleines de vie.

A votre avis, existe-t-il une « French touch » en matière d’urbanisme ?

Lors d’un récent séjour à Paris (guidée dans mes visites par le génial conseiller en architecture de la Maire de Paris), j’ai été frappée par le courage du peuple français, dans son utilisation des espaces publics. Voir les gens se réunir le soir venu sur la place de la République, s’approprier un espace public pour débattre et discuter tous ensemble de leur futur*, si rapidement après les tragiques événements du 7 janvier et du 13 novembre 2015, c’était vraiment enthousiasmant. Cela m’a confortée dans mon ambition de porter, développer et créer de tels espaces pour mes concitoyens.

*Bridget Smyth fait référence au mouvement citoyen Nuit Debout