Magazine du design urbain

Expressions

Ville nouvelle et résilience

Immeuble Chatou
Immeuble Chatou

Enfant, j’ai habité Chatou – les hauts de Chatou signifient pour ceux qui connaissent la ville, non pas le haut du pavé mais les quartiers récents, beaucoup moins bourgeois que le centre où dans les années 70 les terres maraîchères alentours, devinrent en masse des lieux d’implantation de résidences, sorte de cités dortoirs pour classes moyennes.

Mes parents provinciaux ont considéré que cet endroit permettait un bon compromis. Contrairement à Paris intra muros, les nombreux espaces verts existaient à proximité de cette cité  de l’ouest parisien. Le Vésinet, Croissy-sur-Seine, Saint-Germain-en-Laye proposaient des parcs, des forêts, des lieux aérés, verdoyants – la possibilité de nombreuses promenades dominicales.

J’ai donné du pain aux canards, ramassé des marrons à l’automne, observé les changements de saisons à travers les feuillus et parfois lors des rudes hivers, j’ai pu glisser sur les petits lacs des Ibis devenus patinoire le temps d’un week-end.

Les axes routiers efficaces et la présence du RER ramenait le centre de Paris à 40 minutes.  Nous avons changé plusieurs fois de résidences mais dans un périmètre restreint.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours ressenti ces espaces comme inhospitaliers, fades, sans âme. Les allées bétonnées et récemment végétalisées restaient marquées par une orthogonalité qui me révulsait.

L’implantation d’un coeur de commerces de proximité pharmacie, boulangerie, supérette, permit un foyer de vie réel mais l’architecture si froide des ronds points, des larges trottoirs, la présence de parking ça et là, avaient du mal a insuffler chaleur et convivialité. Le marquage au sol, la signalétique métallique m’inspirait une certaine tristesse.

Seul le marché du dimanche matin envahissant l’avenue Guy de Maupassant amenait une humanité organique, bruyante, désordonnée et me mettait du baume au coeur. Cageots égarés, morceaux de salades, pommes, carottes écrasées, le ballet des éboueurs vers 13h animait une dernière fois la grande allée, les jets sur les trottoirs signaient le retour du vide et la béance du lieu.

L’ arrêt de bus était en bas de chez moi, j’aimais entendre l’engin faire le tour du rond-point, son râle comme un moteur de machine à laver.

Plus tard, je déciderai.

Au printemps, chaque année une grande émotion esthétique me submergeait : les cerisiers en fleurs dans la résidence ; le Sakura – dont j’ignorais le terme à l’époque, recouvrait les allées, la nature  reprenait ses droits, les irrégularités formelles redessinaient ces espaces qu’on avait selon moi étouffés. Je me régalais de voir disparaître le béton, le sol devenait rose jusqu’au passage des troupes de jardiniers et de leur râteau zélé.

J’ai développé une réaction à cet « ordonnancement » mal orchestré vécu comme un moment de frustration à l’heure où mes goûts se forgeaient.

Mon premier studio à Paris, je l’ai choisi dans le quartier de Belleville, métissé, anarchique, bruyant, gouailleur. Je préférais la déglingue, les halls pourris et les cages d’escaliers fatiguées aux entrées carrelées avec moquette dans l’ascenseur.

Est-ce que les choses en creux nous poussent à fabriquer du
plein ?

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