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Caterina Aurel, de l’Italie humaniste à la cité du XXIe siècle


Partir à la rencontre de Caterina Aurel, c’est aborder une personnalité agréable, au raffinement discret, et s’immiscer avec délicatesse dans un univers qui évoque les valeurs nobles de la Renaissance italienne.

À travers ses études et la qualité de ses réalisations, on perçoit un esprit imprégné de cet humanisme déjà défini par l’antique Cicéron un siècle avant notre ère : « la culture qui, parachevant les qualités naturelles de l’homme, le rend digne de ce nom ». Des valeurs à redécouvrir, transposées dans notre monde moderne.

Caterina, vous avez suivi une formation d’architecte urbaniste, pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

Je suis originaire de Toscane, en Italie. J’ai eu très tôt le sentiment de ma vocation, j’étais assez déterminée. J’habitais à Carrare en Toscane, qui possède un très beau centre ancien et de très beaux paysages, mais j’ai vu aussi fleurir à cette époque une vague de constructions très moches aux alentours, et je me disais souvent qu’il fallait faire quelque chose contre cela.

Ensuite j’ai fait mes études d’architecture à Florence. Mais je suis partie tout de suite après, en 1992, à San Diego aux Etats-Unis pour travailler en agence. Puis je suis allée à Paris pour étudier en master d’urbanisme à l’École nationale des ponts et chaussées. Ce furent de très belles années, au cours desquelles j’ai reçu un enseignement très intéressant à base de cours classiques et d’ateliers pratiques où on nous demandait de fournir un travail très personnel.

Quelle a été la qualité majeure de cet enseignement ?

Je pense que le type d’enseignement que j’ai reçu il y a vingt ans à Florence est très différent de celui qui est dispensé dans les écoles françaises aujourd’hui. J’ai reçu une formation de type humaniste, c’est à dire beaucoup plus généraliste et ouverte, qui mêlait architecture, urbanisme, design. Après seulement nous décidions de notre spécialité. C’est d’ailleurs pourquoi je suis partie ensuite en 1994 à Paris à l’atelier d’urbanisme de l’Ecole des ponts et chaussées.

Avant de travailler avec Marc, quelles ont été vos premières expériences en matière d’urbanisme ?

Nous vivions à Paris avec Marc et je voulais alors travailler dans l’urbanisme axé sur les quartiers sensibles. J’ai entendu parler d’un poste vacant à Marseille par l’intermédiaire de l’Ecole des ponts et chaussées, à la SCET (société centrale pour l’équipement du territoire), une filiale de la Caisse des dépôts. Nous sommes donc allés nous installer à Marseille, et j’ai travaillé pendant sept ans pour cette société. Pendant ce temps Marc travaillait en libéral. Puis nous avons travaillé ensemble et mon premier grand projet a été celui de la Réunion.

Au sein de votre binôme avec Marc, qui forme l’agence Aurel Design Urbain, comment définiriez-vous votre approche par rapport à la sienne ?

En fait nous sommes assez complémentaires car chacun a sa spécificité. Nous avons chacun des projets pour lequels nous sommes référents, Marc est plutôt axé sur le design de mobilier urbain, moi sur l’aménagement de l’espace public. Mais nous travaillons beaucoup ensemble. Je dirais que j’ai tendance à avoir une approche plus globale, plus intellectuelle, je construis mes projets dans ma tête, alors que Marc a besoin de dessiner pour réfléchir, il est attaché aux détails. Nous n’avons pas du tout la même façon de réfléchir, mais nous finissons souvent par nous rejoindre.

Quelles personnalités du monde l’architecture admirez-vous particulièrement ?

Quelqu’un que j’ai adoré à l’école des ponts et chaussées de Paris est Pierre Riboulet, qui a dessiné entre autres l’hôpital Robert-Debré à Paris, et qui est pour moi un vrai représentant du courant humaniste en architecture. Il était un architecte engagé qui m’a beaucoup marqué. Il y a aussi l’architecte italien Renzo Piano, qui est pour moi une vraie référence. Encore une fois c’est quelqu’un qui exerce l’architecture comme un vrai métier, avec une vraie pensée loin de ce que j’appelle « l’architecture show-biz ».

À travers vos réalisations, notamment la station de bus expérimentale Osmose du boulevard Diderot, en face de la gare de Lyon à Paris, vous semblez très sensible au bien-être des individus et à l’amélioration des rapports sociaux. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Oui, effectivement, je n’ai pas fait l’école d’archi pour choisir seulement les couleurs. Le coeur de ma motivation est la ville car elle est à mon avis le reflet d’un degré de civilisation, d’une culture. À propos de la station Osmose, il est vrai que ce concept était une première. Il y a déjà en Europe une réflexion importante sur ce sujet des espaces d’attente liés aux transports publics. Même si ces questions paraissent secondaires, je trouve que c’est très intéressant de s’interroger sur ce que c’est d’attendre et d’utiliser les moyens de transport au quotidien. J’apprécie l’idée de changer de point de vue sur ces espaces qui sont souvent relégués, comme les personnes qui les utilisent, au dernier plan. Et je trouve intéressant d’intégrer à ces espaces les notions de convivialité, de qualité et même de plaisir. En fait, de ne pas prendre les transports collectifs par dépit mais par envie.

Quel a été le projet le plus enrichissant à vos yeux et dont nous aurons, par conséquent, l’occasion de parler à nouveau ?

J’ai beaucoup aimé travailler, de 2002 à 2010 environ, à l’île de la Réunion, c’était une très belle expérience. Nous avons évolué dans un contexte de recomposition urbaine. À partir d’un bidonville qui allait être complètement détruit, nous nous sommes interrogés sur comment reconstruire un territoire, redéfinir le tracé des espaces publics, la composition des îlots, le type d’habitat etc. Il est très rare en France de reconstruire dix hectares en centre-ville, et c’était donc vraiment exceptionnel de composer ce paysage. Cette période m’a aussi permis de suivre des projets d’urbanisme et d’espace public dans la continuité, de A à Z. Cela a été l’occasion pour nous d’expériences très intéressantes.

En conclusion, Caterina, comment expliquez-vous cette vision qu’on pourrait qualifier de politique, au sens grec du terme, et que vous développez à travers vos réalisations ? 

Il est vrai que c’est une des premières choses que l’on m’a appris à l’école d’architecture de Florence, et même avant, au collège et au lycée, l’idée que ville et vie publique sont étroitement liées. Je fais partie d’une génération qui a étudié le latin et le grec, et je pense que ce type d’éducation, et ces valeurs héritées d’un passé lointain, m’ont forcément marquée. Mon envie de travailler selon ces principes vient certainement de là.

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