Parmi les nombreux défis liés à sa transformation, l’entreprise doit repenser ses espaces de travail. Elle doit intégrer les nouveaux besoins exprimés par les collaborateurs, dans un environnement urbain en mutation et avec des contraintes budgétaires majeures. Nous avons interrogé Marie-Hélène Tydgat, consultante en aménagement des sphères de travail, sur ce sujet aux facettes sociales et culturelles.
Marie-Hélène Tydgat, vous êtes spécialisée dans le « conseil en aménagement des sphères de travail ». En quoi consiste votre métier ?
Mon métier est d’accompagner les maîtres d’ouvrage dans leur recherche de solutions pour l’aménagement de l’entreprise. C’est une réflexion qui commence en amont du projet, la plupart du temps avant le choix de l’architecte. C’est le temps de la réflexion stratégique, sociale, la définition des usages connus et à anticiper, le temps du « programme ». Puis arrive alors le temps de la collaboration avec l’architecte, celui de la conception.
Ma spécialité, c’est de repenser l’espace en fonction de critères spécifiques aux entreprises : ses hommes, ses besoins, son histoire (en terme de rythme d’évolution) et enfin ses possibilités financières.
J’apporte alors une analyse et une vision spécifique sur la place de l’humain dans un environnement en perpétuelle mutation, en recherche d’équilibre. L’objectif étant d’essayer de favoriser la transformation des espaces en situations : accueillir, scénographier les nouveaux comportements générés par les nouveaux usages, les évolutions des profils et des populations d’usagers.
Quels sont les enjeux qui caractérisent l’aménagement des espaces de l’entreprise, et comment situez-vous ces enjeux par rapport aux pratiques passées et à venir ?
Les espaces de travail ont connu une très forte évolution : du bureau individuel à l’open space, puis au nomadisme et au lieu tiers qui se développent aujourd’hui. Cela nous oblige a redéfinir l’approche du poste de travail, devenu polymorphe.
L’enjeu principal, c’est la manière dont on peut redonner sa juste place à l’individu pour renforcer le collectif. Il faut repenser cette place en terme d’espace, en fonction des entreprises et du profil des employés. Par exemple, pour certaines personnes, le bureau individuel est un fort signe de reconnaissance ; pour les autres, souvent plus jeunes, ce n’est pas le cas.
Il s’agit donc de créer des passerelles entre ces différentes représentations de l’espace. Le poste de travail, par exemple, est stratégique : le mobilier, l’éclairage, l’acoustique, l’ergonomie du poste personnel sont décisifs pour pouvoir offrir les conditions d’isolement nécessaires pour mieux travailler. Dans un contexte d’open space, créer des endroits qui permettent de se retrouver seul est incontournable, tout comme les lieux où l’on crée des lien sociaux et professionnels. Echanger avec ses collègues, partager ses expériences… ces soupapes favorisent une collaboration plus harmonieuse entre les séniors et les juniors.
Concernant l’évolution des pratiques, prenons l’exemple du télétravail. Auparavant l’entreprise reconstruisait un espace de travail à son image au sein du domicile du collaborateur (une sorte de corner identitaire), avec ses propres codes (le kit bureautique par exemple). Aujourd’hui, on laisse plus de liberté, on est moins intrusif.
Quant au lieu tiers, il s’agit d’un lieu externe loué par l’entreprise, où l’on peut venir travailler. Par exemple, une personne qui est souvent en déplacement aura besoin de faire une réunion téléphonique dans un endroit approprié, et pourra se rendre dans l’un de ces locaux. Dans l’autre sens, il y a aussi la question de l’intégration dans l’entreprise de personnes qui ne sont pas physiquement présentes au quotidien. Ces personnes attendent un accueil particulier dans les locaux de leur société, elles n’ont pas les mêmes attentes que celles qui sont habituées au poste de travail traditionnel. Et l’enjeu est de taille : il faut créer et entretenir les liens. C’est une nouvelle responsabilité pour les managers, les espaces doivent pouvoir permettre ces évolutions de besoins.
Quelles sont les attentes des collaborateurs concernant l’intégration de l’entreprise dans l’espace urbain ? Comment cela évolue, en terme de transports publics, de services, de qualité des espaces publics/privés ?
Les attentes des salariés sont en majeure partie liées à la grande porosité entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Quand une entreprise s’implante dans un nouvel environnement, il faut favoriser la présence de transports, de crèches, de commerces et autres services urbains utiles aux personnes. Le nomadisme aussi change la donne, les personnes peuvent avoir dans une même journée un rendez-vous professionnel, un rendez-vous médical, et alterner ainsi des moments de vie personnelle et professionnelle. Et bientôt, il faudra accepter que l’individu puisse « sortir » de l’espace fixe de l’entreprise.
Dans le cas des lieux tiers, il faut repenser la collaboration entre l’entreprise et les acteurs de la ville. Et plus c’est fait en amont, plus c’est harmonieux. Je pense au cas du Grand Paris : il me semble que cet aspect de la mutation urbaine n’est pas assez pris en compte. Il faut réfléchir en termes de paysagisme, de réflexion sociale et culturelle, historique.
Quel impact peut avoir l’espace extérieur (transport et autres lieux publics) sur l’espace intérieur de l’entreprise ? Doit-on favoriser les synergies entre l’espace de travail et l’espace urbain ?
Récemment, j’ai accompagné une entreprise qui était implantée au coeur d’Aix-en-Provence. L’emplacement était idéal, les collaborateurs prenaient leur pause déjeuner à la terrasse des restaurants, tous les commerces étaient à proximité de leur lieu de travail. Et puis l’entreprise a déménagé à vingt minutes d’Aix, dans un lieu naturel superbe mais dénué de tout service urbain. Une collaboration a alors été mise en place entre avec la mairie d’Aix pour proposer des navettes, la voirie a été refaite pour faciliter les déplacements, une crèche a ouvert non loin de l’entreprise. Un service de conciergerie améliorée est en train d’être mis en place. Comme cela, les collaborateurs bénéficient d’un cadre de travail magnifique sans perdre les services qui leur facilitent la vie.
Dans tous les projets sur lesquels je travaille, on procède au mode collaboratif. On organise des ateliers, il y a des votes qui permettent aux salariés d’exprimer leurs attentes et d’être impliqués dans le mouvement.
C’est donnant-donnant : si l’entreprise participe à faciliter la vie de son employé et contribue à son bien-être , alors c’est la productivité qui en sera optimisée, l’absentéisme diminué.
Voyez-vous des similitudes entre l’aménagement des espaces professionnels et celui des espaces publics/urbains ?
Il y a des points de convergence qui sont indispensables, car l’entreprise fait partie du paysage urbain. Je vois également des similitudes sur la démarche : penser au bien-être de l’individu pour parvenir au bien collectif, c’est la même chose en entreprise et dans la ville. Je crois beaucoup à la valeur de l’individu, et à la prise en compte des différences. Comme l’entreprise, la cité ne peut se satisfaire de solutions standardisées. Il faut essayer d’intégrer l’ensemble des spécificités.