La mobilité urbaine est sans aucun doute l’un des premiers défis des villes de demain. Une révolution douce est en marche avec le transport par câble, qui renouvelle notre manière de voir et de pratiquer la ville. Cocorico : le leader mondial du téléphérique est français, c’est le groupe POMA. Rencontre avec son Président du Directoire, Jean Souchal.
Jean Souchal, pendant longtemps, le transport par câble a été associé au ski et à la montagne. Et voici que depuis quelques temps, il tend à prendre sa place dans le paysage urbain. Assiste-t-on à la mutation de ce type de
transport ?
En réalité, tout cela est très relatif. L’histoire montre par exemple qu’en Autriche ou en Italie, le premier usage du transport par câble au XIXe siècle était souvent militaire. Cette vision très française du transport par câble lié aux sports d’hiver post Jeux Olympiques de Chamonix 1924 est née dans les années 30 avec les téléphériques, télécabines, télésièges et téléskis.
Au début du XXe siècle, la France comptait une centaine de funiculaires, dont la plupart étaient implantés en milieu urbain. Plus que d’une mutation, il s’agit donc plutôt d’un virage important pour ce type de transport qui trouve à nouveau sa place et sa légitimité dans la ville.
En France, les grands acteurs du transport urbain se sont intéressés très tard au transport par câble. Peut-on parler d’un retard dans ce domaine ?
Il y a deux manières de voir les choses. Si l’on s’en tient à l’industrie, la France est à la pointe des technologies dans ce secteur. Nous avons une position de leader et POMA exporte son savoir-faire partout dans le monde. Si l’on s’intéresse à l’usage, les choses sont un peu différentes. Ce qui est certain, c’est que nous sommes à une étape-clé dans l’histoire du transport par câble. Des projets sont en train d’aboutir à Brest, à Toulouse, à Limeil-Brevannes… je parlerais d’une période de maturité pour la France.
Quels sont les atouts du transport par câble pour la mobilité urbaine ?
Commençons par l’aspect pratique : le transport par câble permet de résoudre des équations impossibles pour les autres types de transport. C’est la solution idéale quand il y a des pentes à gravir, ou beaucoup de dénivelés. Sur le type d’utilisation de ce transport, on parle du « dernier kilomètre ». L’idée, c’est d’intervenir en complément d’autres transports pour aider à parcourir la dernière étape d’un trajet (entre un parking et une gare par exemple). Cette étape peut être impossible à franchir pour un transport classique, par exemple s’il y a un cours d’eau à traverser. C’est là que nous intervenons.
C’est aussi un transport éco-responsable, l’appareil a une faible empreinte écologique et une pollution très limitée. Et dans éco il y a aussi économique, c’est un transport qui permet de faire des économies significatives.
Autre atout, les projets peuvent être développés en quelques mois, ce qui confère un gain de temps considérable et une nuisance liée aux travaux limitée dans le temps pour les riverains.
Pourriez-vous nous donner des exemples de réalisations réussies ?
Voici quelques exemples de réalisations emblématiques du groupe POMA : le téléphérique de Rio au Brésil qui a permet à la population des quartiers enclavés d’accéder au centre de la ville. Il y a aussi le cas de la ville de Medellín, en Colombie, et des télécabines qui offrent aux habitants la possibilité de se rendre en ville (avant cela, il fallait compter deux heures de marche à pied sans autre moyen de transport). A New York, il y a depuis très longtemps un téléphérique qui relie Roosevelt Island à Manhattan, que nous avons rénové en 2010. Les habitants sont très attachés à ce transport qui leur permet de voir la ville « d’en haut », de faire un « voyage plaisir ». C’est également pour eux un moyen de transport très fiable. Lors du dernier cyclone, le téléphérique a été le dernier transport à cesser de fonctionner, et le premier à repartir.
Le groupe POMA est présent dans le monde entier. Le transport par câble est-il un lien transversal qui apporte une unité architecturale aux villes de demain ?
Une chose est sûre, l’avenir des villes se bâtira en troisième dimension. Le sol est saturé, on ne peut plus construire en sous-sol, la mobilité se fera dans le ciel. L’urbanisation poursuit sa croissance dans tous les pays du monde, et il y a aura inéluctablement du transport par câble dans les villes de demain. Nous savons et nous saurons bien évidemment nous adapter aux spécificités de chaque ville, chaque projet est unique et répond à des configurations bien particulières. On sait s’y adapter grâce à une ingénierie française très performante.
Le transport par câble semble être un levier important pour l’accessibilité. Il s’agit de rendre la ville accessible à la population, et aussi de rendre le transport accessible aux personnes en mobilité réduite. Comment vous positionnez-vous sur ces sujets ?
L’accessibilité est au cœur de nos préoccupations, c’est une donnée que l’on intègre systématiquement en nous adaptant aux priorités de chaque projet. Les réalisations prouvent que le transport par câble rend la ville accessible à ceux qui en étaient écartés. Je vous parlais de l’exemple de Medellín en Colombie : près d’un million de personnes empruntent ce transport chaque mois. Les bénéfices sont sociaux, et économiques. Nous avons appris que l’installation de cette structure avait eu un effet bénéfique sur les ventes dans les commerces en ville.
L’accessibilité pour les personnes handicapées est également fondamentale, et il y a des solutions techniques qui permettent de faciliter cela.
Pour terminer, parlons de l’image du transport par câble. En ce moment, ce type de transport est apparenté à un objet de désir. Est-ce l’effet de nouveauté, ou bien est-ce peut-être parce qu’il est apparenté au domaine du loisir ?
Le transport par câble est en train de s’affirmer en France, et c’est le rôle des grands acteurs du transport d’expliquer l’intérêt de ce mode de transport en ville. Nombreux sont ceux qui se sont battus contre l’image « gadget » des télécabines, notamment à Toulouse. Le STIF l’a également inscrit noir sur blanc dans ses projets, ce n’est pas une simple lubie mais une vraie opportunité pour la mobilité urbaine. C’est une réalité qui s’impose en complément des systèmes existants, on est dans une logique complémentaire pour une mobilité plurielle.
Je compare souvent le transport par câble au tramway : comme lui, il a eu son heure de gloire il y a quelques décennies, et on le redécouvre aujourd’hui. Pour le tramway, le virage a eu lieu dans les années 80 et c’est aujourd’hui un transport qui a toute sa place dans la ville.
Dans un récent entretien, vous avez parlé de poésie pour ce mode de transport…
Il est certain qu’il y a une certaine poésie dans le fait de survoler la ville, de pouvoir voyager en ayant un œil sur ce qui se passe autour de soi. Les personnes qui ont connu ce transport y sont d’ailleurs souvent très attachées. Et puis il y a aussi l’effet « cocooning », on est dans une bulle avec un sentiment de sécurité, le temps d’une pause dans et au-dessus de la ville.