Pépinière&co est un collectif qui met en place des projets éphémères dans la ville. Concerts, spectacles, marché de producteurs locaux… Ces interventions urbaines ponctuelles veulent faire de la ville une expérience agréable où l’architecture rend service aux habitants. Rencontre avec Jérôme Glad, porteur du concept.
Jérôme Glad, vous êtes co-créateur de l’organisme « Pépinière & Co » dont l’ambition est de repérer les sites urbains emblématiques pour leur donner une vocation culturelle et économique viable. Expliquez-nous votre projet.
À Montréal, comme dans toutes les autres villes, il y a des espaces en retrait et isolés. La pépinière a été créée dans le but de mettre en valeur ces endroits de la ville en leur offrant une nouvelle dimension. Avec l’urbanisme, généralement on reste dans un bureau, on fait un plan puis une inauguration et ensuite on se rend parfois compte que l’espace ne convient pas car il est figé. Notre démarche est d’être dans l’expérience, nous laissons la place à l’empirisme, à l’inattendu et à la liberté. Nous souhaitons créer des lieux de rencontres en impliquant les communautés locales tout en révélant le potentiel de ces sites sous-exploités. Nos interventions urbaines éphémères sont aussi une formidable vitrine pour la diffusion de la culture. L’un des premiers projets a été le Village au Pied-du-courant, en 2014. C’était un espace urbain assez mal vu, en bordure de la ville. L’idée a été de faire naître un endroit récréatif où les gens pouvaient s’installer pour venir voir des œuvres d’artistes, un feu d’artifice ou encore pratiquer une activité sportive.
Comment choisissez-vous les lieux que vous allez valoriser dans vos démarches par la suite ?
Si un lieu pose des problèmes dans l’espace urbain, il y a de fortes chances pour qu’il nous intéresse. En effet, nous nous questionnons sur le potentiel de celui-ci et sur les aménagements qui vont permettre de le faire revivre. Par exemple, si nous nous trouvons face à un quartier avec des artistes, nous allons créer une place pour qu’ils s’exposent. Pour un quartier avec des problèmes sociaux, nous allons tenter de les résoudre en faisant un point de rencontre entre les isolés. Vous savez, en Amérique du Nord, il se passe beaucoup de choses à l’intérieur des immeubles et les places publiques existent peu. Ces places veulent donc rassembler les gens à l’extérieur. Nous observons les lieux comme des écosystèmes où les activités peuvent se nourrir des autres. Par exemple, en proposant un spectacle avec un lieu de vente de nourriture, nous offrons toutes les cartes aux citadins pour passer un bon moment ensemble et à l’extérieur.
Quel accueil est réservé à vos projets ? Quels impacts ont-ils par rapport à leur environnement ?
Prenons l’exemple des Jardins Gamelins. La place Emilie-Gamelin est un pôle important à Montréal. Quand vous arrivez de l’aéroport, cette place est au centre de tout. Mais vous vous apercevrez vite que malgré une situation idéale, cette place reste introvertie, sans rapport avec les bâtiments autour, délaissée et tristement « mal fréquentée ». Nous avons voulu provoquer une vision nouvelle à l’égard de cette place qui souffre de cette mauvaise réputation. Les politiques annoncent sa transformation depuis des années sans passer à l’acte, nous lui avons simplement donné un visage plus humain sans investir des fortunes. Quelques plantations, des tables et des œuvres artistiques ont permis de lui souffler une nouvelle étincelle de vie ! La place est devenue auto-suffisante grâce à un service de restauration, un café et un bar. Aujourd’hui les montréalais peuvent donc assister à un concert sur cette place et se retrouver pour passer un bon moment au cœur de la ville.
La plupart de vos projets sont éphémères, pour quelle raison ?
Au départ, c’était pour des raisons économiques : un projet éphémère est moins lourd à assumer financièrement. Pour porter ces projets, il faut aussi avoir l’autorisation des instances publiques. En apportant notre contribution à la ville brique par brique, nous recevons un bel accueil. Avec le Village au Pied-du-Courant, nous avons très vite fait le constat que pour mettre en avant de façon permanente cet endroit, il fallait inclure une dimension économique. Le lancement de l’activité économique, ici avec un bar, représente 80% des revenus, ce qui nous permet d’assurer une programmation culturelle et d’étendre cette année la durée du projet.
À travers vos projets, quelle vision de l’espace public souhaitez-vous défendre ?
Pépinière & co met sur pied des lieux de rassemblement ouvert à tout le monde. Ce sont des espaces où les gens se rencontrent pour partager des moments, des repas ou des fêtes. Notre approche et notre vision de l’architecture permettent d’établir un lien avec les bâtiments de la ville et ses habitants. Nous pensons que la ville est arrivée à maturité pour nos initiatives. En effet, depuis moins d’une dizaine d’années, se réapproprier l’espace urbain est devenu une habitude pour les citadins. Par exemple, il est courant de casser le bitume pour planter des tomates pour sa propre consommation. Les gens brisent les règles pour créer des espaces partagés et collaboratifs. Les politiques eux aussi commencent à soutenir ces projets. On se rend finalement compte qu’il suffit de peu pour transformer un lieu public. Surtout, il ne faut pas envisager les villes comme un problème où saleté et misère cohabitent. Non, il faut montrer que pour faire vivre nos villes il faut les repenser tous ensemble, avec ceux qui font l’espace public. Ce doit être un lieu d’expression de la créativité, un lieu plus humain et participatif.