Penser les berges de Seine comme un espace qui pourrait avoir une nouvelle fonction, c’était le défi de Paris-Plages. Jean-Christophe Choblet, scénographe urbain, raconte les ambitions de cette expérimentation urbaine.
Bonjour Jean-Christophe Choblet, vous êtes scénographe, pouvez-vous me présenter votre métier.
Dans mon métier, je m’intéresse à la transformation des espaces sur une période temps donnée. Je suis scénographe urbain. C’est un métier sur mesure qui me permet de créer des scènes à vivre dans les villes. De par mes précédentes expériences professionnelles, notamment dans le milieu culturel, j’ai toujours été soucieux de la problématique du récit et attaché à la thématique de la narration. La question de l’espace urbain, surtout, m’intéresse beaucoup. J’estime qu’il est capital de s’interroger sur la vie dans un espace public : quels usages en découlent-ils ? Comment on s’accapare ces espaces pour créer des moments de vie ? Comment ceux qui font la ville, ses usagers, trouvent-ils leurs repères ?
Vous êtes à l’origine de Paris-Plages, comment est née cette désormais « tradition parisienne » ?
Aux débuts de Paris-Plages, une problématique de la mairie toute simple : la réduction de la circulation sur les berges de Seine. Derrière ce challenge, il y avait aussi l’envie de créer un grand espace de loisirs afin de permettre à tout un chacun d’accéder au bonheur d’un départ en vacances. Offrir une sorte d’échappée urbaine aux Parisiens. À l’époque, en 2005, je revenais de l’exposition universelle allemande durant laquelle j’avais pu étudier la question de la réversibilité de l’espace public. La réversibilité, avec la saturation des villes en terme de population, c’est essentiel. Cela signifie que l’on peut transformer et moduler des éléments d’une ville pour qu’elle ne soit plus un espace prêt à jeter mais plutôt un lieu en perpétuelle réinvention. Paris-Plages, c’est exactement ça. C’est refuser que l’espace soit monofonctionnel en trouvant au bitume une nouvelle fonction. Paris-Plages, quand on y pense, c’est presque un oxymore. La plage, la ville, deux univers bien différents. Et pourtant, en se servant d’archétypes, on a pu réussir à créer cet univers dans la ville.
Vous avez créé paris Plage il y a 10 ans : comment cet évènement a été accueilli à Paris ? Pourquoi les Parisiens ont pu y croire ?
L’évènement a été très bien accueilli ! La raison ? Nous avons pu recréer les codes de la plage grâce à des archétypes facilement assimilables. L’utopie de la plage était là, créée à partir de ces quelques éléments symboliques : le sable, des palmiers, des transats. La plage est surtout devenue crédible grâce aux plagistes qui l’ont envahie. Les symboles que nous avons utilisés pour cela sont certes caricaturaux, mais ils font référence à des signes culturels simples et communs. En apportant ainsi la plage à la ville, nous avons rendu la ville réversible. Le bitume a laissé place à la plage, et inversement. C’est une porte ouverte pour se questionner sur les possibilités qu’offre la ville en terme de changements.
Pensez-vous que Paris-Plages a transformé la vision de l’éphémère à Paris ?
Une chose est sûre… Cet évènement a apporté un regard neuf sur les berges de la Seine. Paris-Plages a prouvé que les berges ne sont pas que des passages pour les voitures, elles peuvent au contraire se réinventer. C’est ainsi que nous avons transformé la vision de l’éphémérité dans la ville. Paris-Plages a été la voie vers d’autres expériences urbaines. Quelques années plus tard, sur la rive gauche, nous avons soldé les bordures de bitume par une scène culturelle et un espace de loisirs. L’espace se déplie et s’adapte à la programmation. Nous avons équipé l’espace en fonction de l’usage : il peut être utilisé pour des évènements sportifs mais accueille aussi des concerts ou spectacles. J’ai l’ambition de créer des espaces publics qui ne sont pas des freins à la réinvention, des lieux qui pourraient servir pour différents types de manifestations. Ces nouveaux espaces scénographiés sont multiples : ils offrent du potentiel aux citadins, les laissant ainsi libres de se les approprier et de créer leur forme idéale. La forme esthétique de ces installations urbaines trouve son sens dans l’usage qu’elle va suggérer.
Paris-Plages a été adapté dans d’autres capitales européennes, quel est votre regard sur ces adaptations ?
Historiquement, le nom Paris-Plage fait sens quand on se rappelle les origines de la ville Touquet-Paris-Plage. De plus, l’architecture parisienne se prête bien à l’aménagement d’une plage de sable. En revanche, quand on voit d’autres villes comme Rome, c’est à mon sens un évènement fragile qui n’a pas de sens historique. En répliquant l’idée de Paris-Plages ailleurs, l’initiative devient événementielle alors qu’elle pourrait donner lieu à des adaptations plus légitimes et surtout mieux adaptées. Il y a beaucoup d’autres opportunités à créer dans les villes !
Avez-vous récemment été touché par des expérimentations urbaines ?
Instinctivement, je vous parlerais d’abord d’une expérience mais qui ne se situe pas dans un milieu urbain : le festival Burning Man aux Etats-Unis. C’est un lieu éphémère, intriguant et passionnant. Sinon, je pense à la High Line à New-York, un parc linéaire urbain suspendu assez fascinant. Non seulement cette installation « végétalise » la ville, mais elle permet aux new-yorkais de développer des activités diverses.
Aujourd’hui, avez-vous d’autres projets parisiens ?
Il y a beaucoup de choses à faire dans la ville de Paris car elle a été construite il y a très longtemps… Aujourd’hui, il faut bouger les codes et se dégager de l’idée d’une ville faite par les ingénieurs et créée pour les bourgeois. L’urbanisme a changé, notre façon de vivre a changé. Il faut ramener l’urbanisme à la vie de notre époque. C’est pourquoi il est urgent d’effectuer des transformations. Je travaille sur un projet de refonte de 7 places (Bastille, Nation, Madeleine, Italie, Gambetta et Panthéon). Je souhaite évidemment travailler sur l’usage de la ville : comment on aborde une transformation de l’espace public ? C’est simple, je garde en tête l’idée d’une boîte à outils que les Parisiens vont pouvoir utiliser pour inventer leurs usages. L’idée est aussi de gagner de l’espace physique en éloignant les voitures. Enfin, pour recréer un environnement plus agréable, j’aime l’idée d’insérer des objets qui qualifient un espace public plus naturel comme le végétal ou l’eau.