Magazine du design urbain

Expressions

Michel Redolfi, créateur de mélodies urbaines

Michel Redolfi - Réglage tram Nice_Alstom
Michel Redolfi dans le tram à Nice

Ses créations sonores tournent dans l’air du tram, à Nice, Brest, et bientôt à Besançon, et Liège.

Michel Redolfi conçoit des mélodies, nommées sonals, qui rythment les déplacements des usagers des transports publics. Mais pas seulement : à la tête du studio Audionaute, il intervient plus largement dans l’espace public, lors d’événements consacrés à l’art, à l’architecture, au paysagisme. L’Observatoire du design urbain est parti à la découverte du métier de designer sonore, situé à la croisée de l’art et de la technique : Michel Redolfi nous invite dans son univers.

Quelle est votre démarche lorsque vous découvrez un lieu dont vous devez concevoir la mise en scène sonore ?

Avant tout je fais un audit acoustique du lieu. Audit = audition. Une enquête sur les façons dont le son aura à se réfléchir, à se glisser, à brumiser ou solariser l’espace. Puis, j’inspecte les volumes et parois, les carrosseries, les structures pour comprendre comment le site ou les volumes vont pouvoir conduire le son. Car j’agis de plus en plus rarement avec des haut-parleurs, mais plutôt avec des vibreurs électroacoustiques, des sortes de diapasons qui appliqués dans le matériau y conduisent la vibration. Ainsi le son émane des structures et se répartit dans l’espace d’écoute. Comme écouter un instrumentiste dans une salle.

La diffusion par haut-parleurs est un non sens archaïque. Diffusion = infusion, cela devient de de la tisane acoustique ! Mes solutions issues de mes travaux de conduction sonore dans l’eau, dans le corps humain remettent le site, l’objet, l’auditeur au cœur du son.

Les concerts subaquatiques de Michel Redolfi, en piscine

Les concerts subaquatiques de Michel Redolfi, en piscine

La sonorisation des équipements de transport est une de vos spécialités. Quelles solutions avez-vous imaginées, au cours de vos divers chantiers, pour alléger des espaces urbains déjà saturés par le bruit ?

Pour les tramways j’ai banni les petits haut-parleurs standard sortant d’une grille, pour les remplacer par des enceintes de belle taille, invisibles car logées dans les coffres techniques au-dessus des assises voyageurs. Ce que l’on appelle des voussoirs et qui ressemblent aux coffres à bagages des avions. Le son s’en échappe par des évents sortant sur les carreaux. Ainsi l’onde se répartit harmonieusement sur les baies vitrées – un effet reflex comme une lumière projetée sur une paroi. Grâce à 10 projections acoustiques sur l’ensemble du vitrage, le son enveloppe totalement l’habitacle avec une douceur mais aussi une clarté incomparables. Alstom a adopté ma solution pour les tramways de Nice et Brest.

Le tramway de Nice à l'heure du Jazz festival

Le tramway de Nice à l’heure du Jazz festival

Après les tramways de Brest et Nice, un de vos projets en cours est la conception sonore du métro de Liège, en Belgique ; d’autres chantiers à l’étranger vous attendent encore. Comment adaptez-vous vos conceptions sonores à des contextes culturels très différents ?

L’adaptation est facilitée par l’entremise de ce que j’appelle des sonals. Un sonal n’est pas un jingle. Un jingle, de par son terme même, secoue. De type annonce en gare SNCF, il est invariable, relativement assommant sur le principe de l’avertisseur. Un sonal, lui, éveille calmement et se transforme au fil des heures. Il accompagne discrètement – mais efficacement- le voyage et contient des éléments musicaux, vocaux, historiques qui sont liés à la sensibilité des lieux, à l’inconscient sonore collectif d’une population donnée.

A Nice les sonals sont très chamarrés et varient de manière aléatoire à chaque station. En version diurne et en version nocturne. C’est Nice, ville baroque, festive, florale. A l’approche des marchés, des paysages sonores se font entendre. Les annonces sont doublées en langue nissarte.

A Brest, il fallait évoquer un contexte maritime sans le surligner. J’ai pu ainsi intégrer une programmation qui permet aux sonals d’être dits par une voix de femme à marée ascendante et par une voix masculine à marée descendante. Bien sûr, chaque jour ça change. Au moins quand on monte à bord… on sait où (en) est la mer, même loin du port. Aléatoirement sur le parcours et aux arrivées, les annonces sont doublées en breton. Plus fondamentalement qu’à Nice avec son dialecte, mais avec un sens de la mesure qui évite l’effet bilingue.

Je travaille maintenant sur le tramway de Besançon… Un immense programme de sonals qui va personnaliser pas uniquement les stations, mais également chacune des 19 rames. Chacune sera un univers roulant… je ne peux en dévoiler plus (l’inauguration aura lieu le 1er septembre 2014).

Bancs audio-solaires Sunfony© à Monte Carlo

Bancs audio-solaires Sunfony© à Monte Carlo

Vous avez développé du mobilier sonore en partenariat avec des designers tels que Christophe Harbonnier -le banc Sunfony- ou encore Marc Aurel -le banc Treccia. Avez-vous envisagé d’adapter ce mobilier aux espaces dédiés au transport public ?

Oui bien sûr. Nous avons déjà fait avec Marc Aurel un essai de deux ans avec la RATP pour la station de bus expérimentale Osmose à la gare de Lyon. L’expérience est maintenant achevée. Nous avons rendu musicalement interactives au toucher les parois vitrées et mis en résonances harmoniques les structures métal. Mais le site ultra bruyant, saturé de bruits de moteurs diesel et de coups d’avertisseurs violents envoyés par les bus, a masqué en grande partie le travail. Un mobilier sonore doit se situer dans un espace acoustiquement clair, apaisé dans lequel on amène des notes, dans tous les sens du terme, apaisées. Il faut jouer pastel, en transparence et intégration dans la rumeur. Harmoniser le paysage sonore, pas le masquer.

Le banc sonore Treccia, en collaboration avec Marc Aurel

Le banc sonore Treccia, en collaboration avec Marc Aurel

Enfin, quelles sont les villes dont l’espace public vous inspire, et auxquelles vous aimeriez ajouter votre touche ?

Des villes de nouveaux mondes. Les Etats Unis, où j’ai exercé longtemps. Miami, ses gratte-ciels et son front de mer Art déco me fascine. Mais également des villes d’Asie. J’avais participé déjà en 1989 à une expérience de mise en son de Hong Kong (Diasonic avec Louis Dandrel). Tokyo serait sans aucun doute un merveilleux terrain de jeux sonores design !

Mots clés