Une ville est-elle une marque comme les autres ? Est-il possible, par un travail sémiologique et culturel, de redonner un second souffle à une cité qui en manque ? C’est la tâche, immense, à laquelle s’attelle depuis 10 ans le célèbre graphiste anglais Peter Saville. Au-delà des pochettes de disques qui l’ont rendu célèbre, la tentative de méta-design de l’un des plus brillants natifs de Manchester.
Manchester : une ville en quête d’elle-même
En 2002, Manchester, troisième ville du Royaume-Uni, accueille les Jeux du Commonwealth. Cet événement, un succès, incite alors la ville à mener une réflexion sur son identité et surtout sur son avenir. Comment la ville pouvait-elle se rendre plus désirable pour négocier au mieux avec des sponsors ? Mais surtout, dans quelle direction Manchester souhaitait-elle aller et comment pouvait-elle se donner les moyens d’y aller ?
La marque Manchester en question
Sir Howard Bernstein est le « chief executive » de Manchester (c’est une fonction de direction opérationnelle que nous n’avons pas en France, ndla). Et c’est à cette époque qu’il a réalisé qu’il n’était pas seulement le chief executive d’une ville, mais bien d’une marque appelée Manchester.
A la recherche d’un directeur de création
Sir Howard voulait comprendre comment sa marque était perçue. Mais la mission était ardue, et en 2004 la ville s’est mise en quête d’un Directeur de création.
À l’issue d’une compétition internationale opposant de grands noms tels que Javier Mariscal ou l’agence Pentagram, c’est un fils du pays qui s’est distingué : le célèbre graphiste Peter Saville. Graphiste attitré du légendaire label musical Factory Records, connu pour avoir conçu ses pochettes de disques comme de véritables œuvres d’art minimalistes.
« Si j’ai été choisi, ce n’est pas parce que je suis né à Manchester », affirme Saville. « C’est je crois parce que j’ai été le candidat le plus critique. Mon regard était abrasif parce que je tiens à cette ville. Je l’aime. »
Une vision pour Manchester
« Ma mission de Directeur de création de Manchester a consisté à comprendre vers quelle direction la ville était tournée, quelle était son identité », se rappelle Peter Saville. « Alors j’ai enquêté. Interrogé des habitants, des acteurs économiques et associatifs locaux. Ils avaient chacun des objectifs, des rêves pour leur ville. Mais il leur manquait une vision. Comment connecter la réalité à une vision ambitieuse pour Manchester ? »
Une histoire de perception
« J’ai aussi réalisé qu’il était vraiment question de perception : comment le monde voit cette ville ? Et aussi comment la ville se voit elle-même ? »
Et le graphiste se plonge dans l’histoire de Manchester… « Elle fut la première ville industrielle de l’histoire. Les habitants de Manchester ont eu à inventer la ville moderne. Manchester est née pour être moderne. La ville a toujours été au centre des innovations. Il y a 200 ans, Manchester attirait les esprits les plus brillants de l’époque », s’enthousiasme Peter Saville.
Mais à l’époque, en 2004, la ville ne savait plus quelle route emprunter pour le 21e siècle. « Ses habitants ne savaient plus qui ils étaient. Et la ville manquait d’une vision collective. Pourtant, les outils de sa modernité étaient toujours là : une énorme université, des musées, un patrimoine architectural… »
Original modern
« Je réfléchissais à l’histoire de Manchester, au fait qu’elle fût la première ville moderne du monde… et un concept s’est imposé à moi. Une base pour tout le reste : « Original modern ». Manchester est la ville moderne originale et originelle. Plus qu’un slogan, c’est l’affirmation d’une valeur profonde, un concept qui permettrait de mesurer tout ce qui serait fait ensuite pour ressusciter la ville : est-ce que cette chose que nous faisons/construisons/imaginons est moderne, originale ? »
Infuser la ville
Et c’est avec ce prisme que Peter Saville espère redonner un second souffle à Manchester. « Il me semblait que Original modern devait et aller infuser tous les champs de la ville, que ce serait perçu comme une vraie opportunité pour la ville de se réinventer sur une base logique, historiquement juste. Comme Berlin l’a fait. Berlin est le plus bel exemple d’une ville qui s’est littéralement réinventée. »
« Berlin est sexy »
Et Peter Saville de rappeler cette déclaration sublime et surréaliste de Klaus Wowereit en 2004. Alors Maire de Berlin, il assène en pleine conférence de presse : « Berlin est pauvre, mais sexy ». « C’était si parfaitement juste ! Berlin EST sexy. Berlin est ouverte aux arts, aux artistes, aux penseurs… et quand on a des artistes dans une ville, ils lui ajoutent cette touche de romantisme qui attire ensuite d’autres types de populations qui créent, innovent, pensent de façon disruptive… constructive ! »
Mais comment rendre une ville « sexy » ?
Comment peut-on rendre une ville « attirante » ? « Ce sont les gens qui attirent les gens », affirme Peter Saville. « Une ville a besoin de penseurs, de créatifs, d’esprits disruptifs parmi ses habitants. Une ville qui veut se « rebrander », se redéfinir en tant que marque, se réinventer, doit offrir à ces esprits créatifs l’environnement qu’ils recherchent. On parle là de culture, de devenir une ville cultivée, une société cultivée… en fait… une société de designers ! »
« What would I’d like my city to be? »
« Depuis 10 ans que j’ai été choisi pour être le Directeur de création de Manchester, j’ai été animé par une question unique : qu’aimerais-je que ma ville devienne ? »
Une mission passionnante, harassante, compliquée que de (re)construire la marque d’une ville. Une mission intangible, une œuvre de refondation sémiologique, quasi philosophique, qui dix ans après n’a pas encore donné tous les résultats que Peter Saville aurait espéré.
« J’ai beau être perçu avant tout comme un designer graphique, ce que j’ai mis en œuvre à Manchester, ce n’est pas du graphisme. J’ai proposé autre chose… » conclut Peter Saville.
To be continued, donc…