Et si le design urbain, bien-au delà des apparences, était l’essence même de l’identité d’une ville ? Donner une âme aux territoires en mêlant les compétences de tous les acteurs de la ville : c’est le métier de George Verney-Carron, scénographe urbain.
Monsieur Verney-Carron, vous exercez le métier peu commun de scénographe urbain. Pourriez-vous nous présenter cette activité en quelques mots ?
Je suis un homme de communication diplômé d’une école de commerce, mais aussi et surtout un passionné d’art contemporain. Mon métier est né d’un constat : le territoire est souvent victime d’un développement purement intellectuel et technique qui manque d’âme. Or ce qui est important pour un territoire, ce sont les traces qu’il va laisser dans l’histoire. Des traces constituées par la signalétique, le mobilier urbain, les bâtiments. C’est tout cela qui compose l’identité urbaine, et c’est cela qu’il faut travailler pour donner l’âme qui manque parfois aux territoires. Un exemple ? Vous pouvez résumer Londres en trois objets : les bus, les taxis, les cabines téléphoniques. Or ces dernières perdent leur utilité et sont en train d’être détruites. C’est un peu de l’identité londonienne qui risque de disparaître avec elles.
Pourriez-vous nous présenter votre galerie et ses spécificités dans le paysage de l’art en général et de l’art urbain en particulier ?
Cette galerie est un centre de recherche où j’invite des artistes qui ont envie de créer in situ. Il faut en avoir envie, et en être capable. Car quand l’artiste se confronte à la ville, son œuvre reste. Le risque de l’échec peut faire peur. Il y a aussi des contraintes techniques, on ne travaille pas dans l’espace public comme on travaille dans un atelier. Je suis là pour les accompagner, les assister dans leur création pour protéger les œuvres et les adapter à l’espace public.
En 1984 vous avez fondé votre société Art/Entreprise avec l’ambition de « réconcilier l’art, l’entreprise et la ville ». Comment menez-vous cette mission ?
Ce que je souhaite par dessus tout, c’est enchanter la ville, et donner du sens. L’art n’est pas de la décoration, ça doit servir, surtout quand on sait que 80% de la population mondiale vivra bientôt en ville. Pour cela je travaille aussi bien avec des acteurs publics que privés. L’important c’est de trouver des maîtres d’ouvrage qui ont l’envie, le pouvoir et la culture nécessaires pour faire bouger les lignes. Le plus grand obstacle, c’est la peur de faire quelque chose de nouveau. Or c’est cette nouveauté qui fera avancer les territoires, quitte à bousculer les mentalités. Le tout, c’est de trouver les personnes qui ont des idées, pour inventer et ne pas copier le passé. Nous avons de nombreux outils pour cela : les innovations technologiques, le numérique alimentent la création contemporaine.
Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur l’espace de la ville comme terrain d’expression artistique ?
Comme je vous le disais, l’art donne une âme à la ville. Et pour cela il doit être partout, accessible, il ne faut pas que l’on ne soit pas obligé d’entrer dans un musée (payant) pour y accéder. Le piège à éviter, c’est celui de la standardisation du mobilier urbain. Le banc parisien ne doit pas être le même que celui de Rio ! Car si l’art donne une âme à la ville, c’est bien en marquant sa singularité, en cultivant sa personnalité. Attention donc à la poursuite d’intérêts purement financiers qui nuit à la culture de la ville. Il faut se battre pour qu’il y ait une notion exclusivité : à chaque ville son mobilier urbain.
L’art a-t-il sa place dans des espaces qui ne sont a priori pas conçus pour la création, comme les parkings ?
Oui, évidemment ! Donner envie aux gens d’aller dans un parking, ce n’est pas banal. A Lyon, nous avons crée un musée souterrain avec des architectes, des designers, des artistes. C’est unique au monde.
Vous travaillez avec des architectes, des artistes, des designers… Comment ces métiers s’articulent-il pour faire avancer la ville ?
Tous ces acteurs ne peuvent construire quelque chose de pertinent que s’ils communiquent et travaillent ensemble. C’est loin d’être une évidence ! Cela fait près de 50 ans que les écoles d’art et d’architecture sont séparées. Résultat : les designers arrivent souvent trop tard dans un projet, les artistes ne sont pas impliqués en amont… c’est absurde. L’architecte et le maître d’ouvrage ne doivent pas être les seuls moteurs du projet urbain. Mon rôle, c’est d’avoir un regard global sur tout cela, et de mettre en relation les architectes, artistes et designers pour qu’ils construisent de belles choses qui fassent sens. Car on ne fait pas avancer la ville en travaillant chacun de son côté sur de petites parcelles de territoires, sans vision globale.
Quelques mots sur les artistes que vous représentez. Pourriez-vous nous parler d’artistes, confirmés ou jeunes talents, qui font bouger les lignes de la ville ?
Un exemple : Jean-Sébastien Poncelet, un jeune artiste stéphanois qui a conçu « Animali Domesticki », une série de sculptures d’animaux destinés aux parcs de jeux d’enfants. C’est une manière de ramener l’animal dans la ville. On est à mi-chemin entre l’art et le design.
Je peux aussi vous parler de l’artiste hollandais Krijn de Koning qui a notamment travaillé sur le nouvel éclairage de la grande place et l’illumination du béfroi à Béthune. C’est un artiste qui sait parfaitement travailler aux côtés des architectes. Et puis il y bien sûr Daniel Buren, François Morellet, Felice Varini qui sont d’immenses artistes.