Magazine du design urbain

Espace Public

Ville de Genève : un espace public maîtrisé


Pavillon événementiel du collectif Assemblage © Rémy Gindroz

Claude Brulhart est designer et responsable de projets design pour la Ville de Genève, au Service de l’aménagement urbain et de la mobilité. Parce que cette ville à taille humaine, offrant tous les avantages d’une métropole, a beaucoup à nous apprendre en terme de bien-être en ville, l’Observatoire du design urbain a interrogé ce spécialiste du design à propos de la gestion de l’espace public, et notamment du mobilier urbain, à Genève.

Claude Brulhart, en tant que responsable du design urbain pour la Ville de Genève , quels ont été les partis pris, esthétiques et fonctionnels, pour le mobilier urbain réalisé ?

Depuis plusieurs années, le Conseil administratif de la Ville de Genève travaille à la revalorisation des espaces publics pour améliorer le cadre de vie en ville et le confort de tous les usagers. Plusieurs départements et services sont impliqués pour mettre en œuvre cette politique, dont le Service de l’aménagement urbain et de la mobilité qui pilote les études d’aménagement de l’espace public, intégrant la question du mobilier urbain.

Le développement de nouvelles lignes de mobilier urbain répond à cette politique de revalorisation. Un Concept directeur du mobilier urbain pour la Ville de Genève a été défini dès 2007 pour préciser les axes d’actions dans ce domaine. Tous les critères permettant la création ou le choix éventuel sur catalogues sont précisés, tant esthétiques que fonctionnels mais aussi économiques, ergonomiques ou écologiques.

La Ville de Genève cherche  à établir une cohérence entre les différentes lignes d’objets déployées successivement mais aussi à réduire leur nombre à l’essentiel pour libérer l’espace public et améliorer son usage et sa lisibilité. Elle entend rester à l’écoute des évolutions des usages pour définir des équipements accessibles à tous les usagers, réalisés dans un esprit durable et d’économie de moyens, adaptés pour une gestion et un entretien facilités. Mais aussi, en apportant parfois ce petit supplément d’âme, une émotion positive, favorable à l’intégration, au « vivre ensemble ».

Gamme d'assises AR2012 du collectif Assemblage pour l'île Rousseau © Rémy Gindroz

Gamme d’assises AR2012 du collectif Assemblage pour l’île Rousseau © Rémy Gindroz

Comment créer de la cohérence  lors du déploiement de mobilier dans un espace public ?

Pour nous, la cohérence ne se base pas uniquement sur des critères esthétiques et formels (couleurs uniformes, styles, etc.). Nous cherchons une cohérence plus globale dans nos processus de conception. Outre une sobriété des formes, conçues pour durer, nous visons une intelligence constructive permettant d’optimiser l’usage et de réduire les coûts de fabrication et d’entretien. Ce qui amène des contraintes conceptuelles supplémentaires et a un impact esthétique, sur les choix des formes, des matériaux ou des couleurs.

Nous cherchons aussi une cohérence dans l’implantation des différents éléments de mobilier. En effet, s’il est parfois difficile de trouver une cohérence entre les lignes de mobilier développées par la Ville de Genève et celles fournies par des régies et opérateurs actifs sur l’ensemble du territoire suisse (boîtes aux lettres de La Poste, cabines téléphoniques de Swisscom, armoires électriques des Services industriels, etc.), une logique d’implantation permet d’améliorer l’intégration de ces objets et participe à une meilleure cohabitation et donc à une meilleure lisibilité de l’espace public.

Nous travaillons aussi avec ces entreprises pour développer des lignes d’objets en commun afin de mieux répondre à nos objectifs. A relever les récentes collaborations avec les Transports publics genevois avec lesquels nous avons développés plusieurs supports signalétiques d’information.

Mais l’élément décisif pour apporter une cohérence est d’avoir une stratégie claire et des processus conceptuels et de mise en œuvre efficaces. Le Concept directeur du mobilier urbain permet donc de travailler à atteindre nos objectifs et garder le cap sur le long terme. En Ville de Genève, on peut dire que l’on commence à voir les premiers fruits de cette politique suite au déploiement de plusieurs nouvelles gammes de mobilier.

Le travail à accomplir reste important car la Ville de Genève gère des dizaines de lignes d’objets et, les usages évoluant, de nouvelles lignes sont développées chaque année.

Bacs d'orangerie "Oxyde" © Oxyde-design, Lausanne & Fred Hatt

Bacs d’orangerie « Oxyde » © Oxyde-design, Lausanne & Fred Hatt

La Ville de Genève ne fait pas appel aux opérateurs privés pour la fournir en mobilier urbain. Quels sont les avantages et les contraintes liées à cette spécificité ?

La Ville de Genève ne développe pas toutes ses lignes de mobilier urbain. Nous choisissons certains objets sur catalogue quand ceux-ci répondent très précisément à nos critères.

D’autre part, le mobilier d’affichage est fourni par le concessionnaire qui est chargé de son entretien durant la concession, par exemple. Dans le cas de l’affichage, la Ville de Genève a défini des critères de qualité, esthétiques et fonctionnels dans le cahier des charges d’appel d’offre, afin de s’assurer que le mobilier fourni par le concessionnaire en sus d’une redevance financière, répondra à ses objectifs.

Mais de manière générale, la Ville de Genève entend maîtriser son mobilier urbain. Cela pour des questions d’image notamment. A travers ces objets, il est possible de démontrer des objectifs politiques, comme la volonté d’intégrer tous les usagers, notamment les personnes à mobilité réduite ou les aînés.

En développant ses propres lignes d’objets, la Ville de Genève peut aussi se démarquer des centaines de villes utilisant le même mobilier développé et fourni par les grandes entreprises actives notamment dans le marché de l’affichage. L’image d’une ville se construit aussi à travers quelques objets symboliques et parfois mythiques. Londres a longtemps été personnalisée par les cabines téléphoniques rouges de Giles Gilbert Scott ; Paris par ses colonnes d’affichage développées par l’imprimeur Gabriel Morris ou les entrées de métro d’Hector Guimard.

Gamme de bancs et d'assises "Genève" © Alain Grandchamp - Ville de Genève

Gamme de bancs et d’assises « Genève » © Alain Grandchamp – Ville de Genève

La maîtrise de notre mobilier urbain permet aussi des économies d’échelle à long terme et d’assurer la qualité de nos espaces publics. Le cas de l’affichage est assez représentatif. La Ville a pu définir ses critères esthétiques sur le mobilier mais aussi réduire de manière importante le nombre de supports récemment et donc l’impact de la publicité commerciale, notamment en zones protégées. Cela sans en impacter significativement la redevance.

L’aménagement d’espaces publics de qualité est une priorité pour la Ville de Genève depuis quelques années. Selon vous, quelles sont les attentes nouvelles des citoyens suisses à l’égard de leur espace public ?

Les attentes des usagers, relayées par les associations représentatives que nous associons dans les processus créatifs pour valider nos nouvelles lignes d’objets et nous assurer qu’elles répondent aux attentes de tous les publics, visent principalement à un partage plus équilibré de l’espace public, à créer du lien social, favoriser la mixité et le plaisir de vivre en ville.

Les Genevois comme nos visiteurs cherchent évidemment aussi à trouver un certain confort et des équipements adaptés qui répondent aux nouveaux usages de l’espace public, comme : déjeuner rapidement au centre-ville, dans les places et espaces nouvellement réaménagés ou dans les parcs ; travailler dans l’espace public ; avoir accès à des expositions en sites urbains ou à des œuvres d’art; pratiquer des sports urbains au centre-ville; rencontrer du monde pour se sociabiliser ou se réinsérer (aînés, etc.) ; pouvoir enfin acquérir une autonomie dans l’espace public (personnes mal ou non voyantes) , etc. Il y a aussi une tendance récente de beaucoup de citoyens à vouloir faire « venir la nature en ville » et donc à voir plus d’espaces verts et d’arbres composer les nouveaux aménagements.

Supports d'exposition"Murs" © Imaginaid - Sege Macia

Supports d’exposition « Murs » © Imaginaid – Serge Macia

Vous vous occupez également des questions de mobilité. Quelles sont, dans ce domaine, les attentes actuelles des Genevois ?

La question de la mobilité est une question globale qui dépasse à Genève les prérogatives de notre Service, de notre Département ou de la Ville de Genève.

Du point de vue du mobilier urbain qui nous occupe ici, on peut dire toutefois que les attentes des usagers sont les mêmes que pour les espaces publics de manière générale : un partage équilibré favorable à une mixité créatrice de liens ; des équipements de qualité adaptés à tous les usagers et maintenus en bon état, avec une information à jour et claire.

Claude Brulhart est aussi membre de la Swiss design association.

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