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Espace Public

Quel éclairage public pour la ville de demain ? Une vision prospective par Marc Aurel


Avant d’imaginer quel sera l’éclairage public de demain, ne faut-il pas envisager les mutations en cours dans nos sociétés ? Un exercice auquel se prête volontiers Marc Aurel, pour qui le travail du designer est avant tout d’apporter une vision prospective, vision qui sera à l’origine d’innovations réelles. L’Observatoire du design urbain interroge aujourd’hui le créateur des nouveaux abris voyageurs de Paris au sujet du futur éclairage de nos villes.

Avant d’aborder la question de l’éclairage public, parlons des évolutions en cours dans l’espace urbain, et notamment des nouvelles mobilités : comment concevez-vous le futur de nos villes ? 

Sur la question de la nouvelle mobilité en ville, on arrive de plus en plus à l’idée d’une mobilité partagée, notamment à travers les transports collectifs mais également à travers une diversité de l’offre. De ce fait, c’est la question de la qualité de ces transports qui se pose, aussi bien  des véhicules eux-mêmes que des espaces d’attente, ou des lieux d’interconnections, d’interfaces entre différents modes de transports.

Quand aujourd’hui on parle d’une nouvelle mobilité, cela rejoint en fait l’idée d’une mobilité multiple, soit un éventail de possibilités données à l’usager pour se déplacer en fonction de ses besoins.

Pour prendre un contre-exemple, quand on voyage dans des mégapoles comme Sao Paulo (12 millions d’habitants) ou Istanbul (15 millions d’habitants), on subit les contraintes liées à la voiture. Il n’y a que peu d’alternatives à ce moyen de transport et la question des déplacements se résument souvent à la suivante: « comment me déplacer en évitant les embouteillages ? »

La vraie modernité passe à mon sens par la possibilité de faire son choix entre une panoplie de transports publics collectifs ou individuels la plus large possible: tramways, bus, BHNS, métro, téléphérique, navettes fluviales ou maritimes, voitures électriques en libre service, mais aussi des transports doux comme le vélo de type Vélib’ etc.

Luminaires Anello à Hyères, par Marc Aurel

Luminaires Anello à Hyères, par Marc Aurel

C’est dans cette approche que se nichent les vraies questions liées au développement de nos villes, et c’est aussi un des axes fort de développement du design urbain, du mobilier mais aussi de l’éclairage, dans lequel je suis très impliqué.

En conséquence, comment l’éclairage pourrait accompagner la ville de demain ?

Dans la ville de demain, il y aura moins de voitures, plus de transports publics, une mobilité facilitée et par conséquent, plus de liberté pour le piéton. L’éclairage public s’en trouvera modifié.

L’éclairage aujourd’hui sert en grande partie à gérer la relation nocturne entre les voitures et les piétons. C’est un éclairage intensif, qui par son uniformité vise à rassurer.

Dans le futur, il sera intéressant de créer des ambiances nocturnes qui ne soient pas conditionnées par cette relation voiture/piéton, mais cohérente à chaque typologie de lieu.

L’éclairage à Venise, une série d’ambiances lumineuses

L’éclairage à Venise, une série d’ambiances lumineuses

Venise en est un bon exemple à analyser car entièrement piétonne. Son éclairage ne se caractérise pas par son intensité et son uniformité, bien au contraire, on se repère de nuit dans l’espace public par rapport à une série d’ambiances lumineuses très diverses et même quelque fois très bricolées. Bien entendu le contexte architectural de la ville y est pour beaucoup mais elle nous montre que la notion de sécurité liée à la quantité de lumière est très relative.

A l’avenir, l’éclairage de nos villes ne devrait plus être contraint par la logique de l’automobile. On pourra alors s’intéresser à la question de la qualité et de la variété des ambiances lumineuses qui seront adaptées à chaque lieu, sans se limiter aux principaux espaces symboliques de la ville : place de la Mairie, rue commerçante, etc.

L’offre actuelle dans le domaine de l’éclairage public vous semble t-elle adaptée à ces nouveaux besoins, en termes de qualité comme de coût énergétique ?

Aujourd’hui, comme je viens de l’expliquer, l’éclairage suit toujours la même logique imposée par la circulation des voitures, qui demande une continuité de la lumière. C’est l’éclairage des voies circulées qui domine et structure la ville.

Dans ce contexte, les industriels ne se posent pas la question d’éclairer autrement, car ce n’est pas leur rôle, mais « d’éclairer mieux » ce qui est déjà une très bonne chose.

La gestion de l’intensité lumineuse en fonction des moments de la vie nocturne d’un lieu est une des thématiques actuelles ; une autre est l’utilisation de sources LED qui sont plus performantes, avec une consommation énergétique faible.

C’est donc un premier pas réalisé, mais qui est loin d’être suffisant pour répondre aux changements qui nous attendent.

Ambiance lumineuse à Poitiers

Ambiance lumineuse à Poitiers

En effet, à partir du moment où l’éclairage n’est plus uniquement focalisé sur la question de la voiture, nous ne pouvons pas nous affranchir d’envisager de nouveaux moyens pour éclairer qui soient plus respectueux de l’environnement, plus simples à mettre en œuvre, offrant davantage de liberté d’implantation au service d’un nouveau paysage nocturne.

Une des questions est de savoir si l’éclairage du futur sera toujours exclusivement électrique donc câblé et complexe à mettre en œuvre, ou si d’autres types d’énergie sont envisageables pour davantage de liberté de formes, d’implantations.

Quels sont à votre avis, les projets qui représentent une réelle innovation dans ce secteur ?

Pour moi aujourd’hui, la vraie innovation est la LED, mais elle est encore le plus souvent utilisée dans une logique de substitution, en remplacement des sources traditionnelles. Or la LED offre la possibilité de travailler la lumière en trois dimensions et suivant différents types d’effets, d’intensités, permettant de créer ainsi des ambiances lumineuses innovantes et sophistiquées.

Pour la ville de Poitiers nous avons réalisé avec l’entreprise iGuzzini un luminaire à LED « Anello » qui utilise le potentiel innovant de cette technologie.

En effet ce luminaire conçu comme un « support de lumière » peut recevoir différents types de LED, colorées, de couleur chaude ou froide,  sur des circuits d’alimentation différenciés. Il est donc possible, à partir d’un unique objet, de composer des ambiances lumineuses complémentaires et évolutives.

Dans le futur, il s’agira d’éclairer moins, mais mieux. Cela pourra se faire grâce à l’évolution des diodes électroluminescentes, mais cette technique demandera toujours une alimentation électrique et donc à être raccordé à un réseau, ce qui offre peu de liberté en terme d’implantation et contraint les aménageurs à avoir une approche économique par point lumineux plus que de l’ambiance produite.

Le luminaire Anello dessiné par Marc Aurel

Le luminaire Anello dessiné par Marc Aurel

Aussi afin de trouver une solution alternative, nous travaillons actuellement avec le Pôle européen de la céramique à développer une céramique photo-luminescente qui ne nécessiterait aucun câblage. Les objets conçus avec cette céramique photo-luminescente se chargent à la lumière du jour et procurent un effet lumineux pendant cinq à sept heures. Cette céramique n’aura pas vocation à  fournir un éclairage dense et direct, mais permettra de créer une ambiance lumineuse par une ponctuation « d’objets éclairants »: bancs, mâts, abris, etc.

Et pour conclure, y a-t-il des villes qui vous semblent être en avance en ce domaine ?

La technique aujourd’hui évolue rapidement, il est donc difficile pour une ville de faire des choix qui ne soient pas obsolètes dans quelques années. Aussi bon nombre de villes restent encore sur une approche traditionnelle de la lumière, sources sodium ou iodure, car les investissements dans ce domaine sont  réalisés à long terme pour pouvoir être amortis par le budget municipal.

Toutefois de nombreuses villes jouent la carte de l’innovation technologique en matière d’éclairage mais sur des aménagements urbains limités : place de la Mairie, parvis d’église, etc.

L’évolution de nos pratiques de l’espace public amènera inévitablement un changement important dans la composition du paysage nocturne de nos villes, un travail qu’il reste encore à faire…

 

 

 

 

 

 

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