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« La Révolution de Paris », ou le Grand Paris retrouvé


Une vue sur Paris du Mont Valérien

Lire l’ouvrage de Paul-Hervé Lavessière, « La Révolution de Paris», paru en février 2014 aux éditions Wildproject, c’est s’ouvrir à un autre regard sur ce qu’on nomme la «banlieue».

Nous avons rencontré l’auteur de ce récit empreint de poésie, le géographe et urbaniste Paul-Hervé Lavessière, qui a aussi tracé ce sentier métropolitain constitué de trois promenades réalisables en deux jours, traversant successivement la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, puis les Hauts-de-Seine.

Un sentier qu’il a parcouru à pied, accompagné de son éditeur Baptiste Lanaspeze, pour redécouvrir ce Paris qui existe bien, au-delà du périph’.

Alors que la situation actuelle oppose un centre-ville historique de Paris à sa banlieue, vous défendez  l’idée d’un « grand centre-ville de Paris », qui inclurait en plus du département 75, les départements 92, 93 et 94. C’était d’ailleurs la composition originelle du « département de Paris », créé en 1790. 

Quels sont les éléments urbains qui, au-delà des vingt arrondissements, laissent à penser qu’on se trouve encore dans la ville de Paris, et non dans sa banlieue ?

Tout au long de notre chemin, nous avons marché sur des trottoirs et croisé des piétons. C’était à mon sens le premier élément qui nous situait en ville et non hors la ville. Quand je marche dans la banlieue de Toulon ou de Marseille, je me retrouve facilement dans des impasses de lotissements ou pseudo-lotissements, sans trottoir, où un observateur pourrait se demander « qu’est-ce qu’il fiche là celui-là ? ». Non, sur le sentier de la Révolution de Paris, on avait toujours ce sentiment de ville, c’est-à-dire un environnement lisible pour les étrangers que nous étions, et où l’on trouve sa place et son chemin. On tombe très souvent sur des plans de ville, des panneaux d’orientation, comme en plein Paris.

On a aussi vu énormément de transports publics (trams, bus, RER) avec des usagers nombreux. Au début je m’attendais à plus de « sauvagerie automobile » avec des autoroutes partout, des échangeurs gigantesques, mais, finalement, on n’en a pas vu tant que ça et ils étaient généralement bien aménagés pour les piétons.

Maintenant, je ne vois plus tellement de différence entre faire « Goncourt – Porte des Lilas » en métro et faire « Basilique de Saint-Denis – Bobigny ». Dans les deux cas, on a un vrai transport en commun et pas un bus qui passe toutes les demi-heures. Pour moi, c’est bien une marque d’urbanité. Il faut ajouter la présence importante de commerce et de services.

Après dès lors que j’ai accepté le fait que je n’étais pas en banlieue (ou en périurbain) mais bien en ville, et bien cette ville ne pouvait être que Paris, dans le sens où ce n’était pas Orléans ou Strasbourg.

 

Paul-Hervé Lavessière et BaptisteLanaspeze ©AntoineCapliez

Paul-Hervé Lavessière et Baptiste Lanaspeze ©Antoine Capliez

Quel serait le visage de Paris aujourd’hui si, comme il avait été prévu au départ, les anciennes fortifications de la ville avaient été remplacées, non pas par le périphérique, mais par une « ceinture verte » mêlant habitations à bon marché et espaces naturels ?

Difficile à dire. On aurait peut-être construit plus dense juste derrière la ceinture mais, les parcs génèrent parfois un effet de coupure autant que de couture. J’ai en tête le parc de Forest, près de mon ancienne adresse à Bruxelles. Ce grand parc aux immenses pelouses sépare autant qu’il relie un quartier plutôt pauvre (en bas) et un autre plutôt riche (en haut). La ceinture verte à la place du périph n’aurait peut-être pas empêché cette opposition Paris-Banlieue. On aurait eu des coins chics, d’autre moins. Et Paris n’aurait pas été moins ceinturé et surdensifié comme cela a été le cas avec le périph. Après on aurait eu moins de pollution, c’est certain.

 

L'échangeur Créteil-Pompadour

L’échangeur Créteil-Pompadour

La Métropole du Grand Paris, qui verra le jour le 1er janvier 2016, est un établissement public qui vise à réduire les disparités entre ces communes que vous avez parcourues. La présence du périphérique n’est-elle pas le plus grand obstacle à cette réunification territoriale ? 

Comme toutes les autoroutes urbaines, le périphérique sera un jour considéré comme un vestige d’un époque révolue. Même chose pour le Ring de Charleroi (Belgique) avec ses pilotis, son système à sens unique, ses entrées, sorties, échangeurs, etc. Ces infrastructures censées raccourcir le temps en voiture rallongent celui des gens qui habitent en bas des piliers, en les obligeant à de grands détours. L’A57 à Toulon, c’est très bien pour ceux qui habitent collines qui peuvent arriver à toute vitesse dans le centre-ville. Beaucoup moins pour les habitants dont les fenêtres donnent sur cette autoroute et qui sont confrontés à des effets de coupure lorsqu’ils veulent se rendre à pied de l’autre côté.

La question du périph est celle de toutes les autoroutes urbaines. On en a démoli à Séoul, à Detroit, à Hambourg. Pourquoi pas le périph parisien? On ferait à la place un grand boulevard urbain, et on reconstruirait tous les angles d’immeubles. On ferait de la vraie ville.

Le pont de Choisy

Le pont de Choisy

Le tracé des autres moyens de transport que vous avez rencontrés (de tramways notamment), et du futur réseau « Grand Paris Express » contribue-t-il à atténuer l’isolement des Franciliens par rapport au centre historique de la ville?

A mon avis le tramway oui, parce qu’au-delà de la question de la distance à Notre Dame de Paris, il procure un sentiment d’être en ville et d’être respecté en tant qu’urbain (c’est pratique en poussette, en fauteuil roulant, avec des courses).

Le GPE, j’ai plus de mal à me positionner sur la question. Quand on a « express » dans le terme, en général, ça se traduit par ces fameux effets de coupure au niveau ultra local. Et on a vu à plusieurs reprises que lorsqu’on améliore le transport, on pense dans un premier temps gagner du temps. En fait, non, on gagne sur l’espace. Les autoroutes urbaines ont permis d’habiter non plus à 10 mais à 40 km de son lieu de travail. Demain, avec le GPE, il ne faudra pas s’étonner de voir le Hurepoix s’urbaniser de façon diffuse et de voir se développer des « embouteillages de campagne ». Là, je parle surtout de la ligne qui couvre le plateau de Saclay. Les portions les plus urbaines au contraire vont devenir hyper structurantes et rapprocher ces communes de première couronne ce qui est à mon avis vraiment nécessaire.

Concernant la distance au noyau historique, je suis parfois amusé par un discours sur la banlieue du type « Jean-Louis habite à Gennevilliers, cela fait 25 ans qu’il n’est pas allé à Paris ». En quoi est-ce si important ? Est-ce une obligation d’aller souvent à Paris intramuros quand on habite déjà dans le Grand Paris ? Le tram T1 est sans doute l’un des plus structurants moyens de transport d’Île de France et pourtant, il ne relie pas à l’intramuros.

Quand je vois des files de joggeurs sur la Promenade plantée à Paris, je me demande quel est le pire : être enfermé dans le périph ou se sentir soi-disant isolé ou exclu parce qu’on habite extramuros?

Plaques à Créteil

Plaques à Créteil

 

Au cours de vos promenades, vous prêtez parfois attention au mobilier urbain. Il y a ce type de banc plutôt rare, qui « permet de s’y allonger, et même à deux », croisé dans les Hauts de Seine,  ou ces lampadaires plantés à l’intérieur d’un centre commercial  à Bobigny. Les divers éléments de mobilier urbain que vous avez rencontrés vous ont-il paru adaptés à leur environnement et aux besoins des habitants ?

Oui j’ai trouvé, et Baptiste aussi, que les espaces croisés étaient bichonnés, notamment, sur le plan du mobilier urbain. Globalement, on a le sentiment que « la ville est arrivée ». C’est la question des bancs mais également des lampadaires, des poubelles, etc qui sont une marque de respect pour le piéton. Ils ont visiblement pris le pas sur les grands lampadaires routiers et les rambardes de sécurité en acier. C’était amusant de voir les différences de mobilier entre communes, la manière dont elles singent l’intramuros ou au contraire s’en distinguent.

Près du Château de Sceaux

Près du Château de Sceaux

Parlons pour finir de la dimension psychologique du phénomène urbain. Votre projet c’est aussi l’idée d’un nouveau « vivre ensemble », qui abolirait l’opposition entre Parisiens et banlieusards, afin que tous se considèrent à part égale comme « Parisiens ». Une révolution des esprits qui serait à réaliser d’un côté comme de l’autre du périphérique ? 

Cette opposition Parisiens-banlieusards est un peu absurde et n’arrange personne. Le Parisien a bien souvent un banlieusard qui sommeille en lui et vice versa. En fait, c’est aussi un fantasme de chercheur ; les études sur la « banlieue » sont légion et la banlieue est un objet qui fascine. Cependant après ces 6 jours de marche, je n’ai pas l’impression d’avoir fait une « découverte » d’explorateur, mais j’ai surtout le sentiment d’avoir été trop ignorant jusqu’à cette expérience. Dés les premiers kilomètres, les préjugés ont fichu le camp, et j’ai pu enfin apprécier le territoire à sa juste valeur : un capitale européenne de 10 millions d’habitants.

En réalité, il n’y a pas d’un côté les Parisiens et de l’autre les banlieusards qu’il s’agirait de réconcilier. Il y a surtout un ménage à faire dans sa tête pour sortir de cette vision binaire. Cette ville fonctionne déjà comme une seule ville et ce depuis des décennies.

www.wildproject.org

www.revolutiondeparis.com

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