Magazine du design urbain

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Mobilier urbain : entre minimalisme et décoration

Banquette Sita, mobilier urbain. Photographie - Rip Hopkins
Photo Rip Hopkins – Assise de la collection « Sita », éditeur Mobil Concepts

Des places publiques abandonnées aux commerçants, des objets de mobilier urbain froids et devenus absurdes : voilà à quels paysages nous sommes confrontés actuellement en ville.

Depuis une trentaine d’années, par crainte de déplaire, les pouvoirs publics ont préféré éviter toute réflexion globale sur ces espaces, et réduire le mobilier à sa fonction minimum. On peut cependant rendre hommage au minimalisme autrement, et l’articuler à un aspect décoratif sans forcément l’y opposer. Et au delà du stylisme, l’essentiel du travail de designer urbain n’est-il pas de comprendre cet espace et ses usagers ?

La réflexion plutôt que le stylisme

Meubler la ville, c’est avant tout porter un regard neuf sur l’espace public. Le dogme dominant de nos jours, lorsqu’on pense l’aménagement des espaces, nous vient d’une idée fausse du minimalisme. En effet, dès la fin des années quatre-vingt, lorsque la plupart des municipalités ont décidé de restructurer leurs centres-villes, on a cru que les usagers s’approprieraient l’espace public s’il était laissé libre, vacant. Or cette idée, devenue un dogme, peut se révéler inefficace. Le vide a laissé la place non pas à l’humanisation, mais à la commercialisation des espaces. Les places, au lieu d’être des lieux de rencontre et de convivialité, ont été investies par les terrasses de café, les commerçants ambulants. En somme, elles sont devenues des espaces de consommation.

Des années après, usagers et municipalités s’en plaignent. C’est pour cette raison qu’une réflexion en amont s’impose, qui se concentre sur les fonctions réelles de ces espaces, les besoins et les attentes des usagers, les contraintes du territoire. Cette réflexion est à la base de notre processus d’élaboration du mobilier. La forme de ce mobilier est seulement la résultante de ces réflexions préalables.

Combiner des détails qui créent une spécificité

Dessiner du mobilier urbain n’est pas un travail de stylisme. Ce qui est primordial, c’est l’intégration du mobilier à la ville, le rapport à son contexte. L’idée du minimalisme ne s’oppose pas à celle de la décoration, au contraire. Les formes de l’objet urbain se doivent d’être reconnaissables par tous, et s’inscrire dans une continuité de la mémoire collective. Un banc doit rester un banc. Le vrai travail se fait sur les détails, qui combinés ensemble, créent une spécificité.

Hyères, aménagement du centre ville - Photographie Didier Boy de la Tour

Aménagement de l’avenue Clotis à Hyères – Photographie Didier Boy de la Tour

La décoration n’est jamais isolée de la fonction. Réfléchir à une bonne assise,  à la hauteur des pieds pour un banc, voilà les vraies questions. Sur un plan plus large, ce mobilier s’assemble selon une logique qui prend en compte les usages de ces espaces. Là seulement l’inscription de ce mobilier devient évidente. Telle est ma posture en tant que designer de mobilier urbain, dont découle toute ma méthodologie.

L’aménagement urbain, une mise en scène subtile et éclectique

Les usagers sont très satisfaits de se sentir pris en compte. De petits détails, comme le miroir inséré dans la station Osmose, à la mise en scène générale, comme par exemple le bon choix d’emplacement pour un banc, tout cela constitue un ensemble d’éléments de faible intensité qui combinés ensemble, créent un lieu de vie agréable. De même qu’un intérieur privé est composé d’éléments hétérogènes, mêlant objets neufs et anciens, de qualité ou jetables, l’espace public n’a pas à être uniforme.

La logique dominante actuelle, issue de la vision haussmanienne du XIXe siècle, est complètement obsolète. Pourquoi ? Car les carrosses ont laissé place à un trafic automobile dense, et qu’on ne peut plus créer des espaces alignant un banc, un arbre, une poubelle, le long d’une route. Ces bancs alignés sont devenus des remparts contre la circulation. Ces espaces se sont vidés d’humanité. Le but aujourd’hui est de créer des petites mises en scène qui créent l’intimité et/ou la convialité dans l’espace public. Et malgré la logique de charte et d’uniformité qui domine dans les municipalités et chez les maîtres d’oeuvre, combiner plusieurs gammes de mobilier pour un même espace est tout à fait possible, et apporte indéniablement un supplément de confort à l’usager.

Gamme Corten Style, fauteuil et  banquette

Collection « Corten Style », éditeur Metalco

Le systématisme, en terme de logique d’installation, crée des espaces sans âme, dans des lieux qui ont pourtant chacun une ambiance spécifique. Si je disposais de plus de liberté, je partirais de la définition des usages pour aboutir à des situations proches de l’installation.

Aux yeux des pouvoirs publics, cette idée de l’éclectisme complique la gestion des espaces. Mon idée du design se heurte sans cesse à ce discours ramené à des questions techniques de gestion. Or je pense qu’on doit aujourd’hui aller au-delà des questions techniques, pour remettre au centre l’usager, et revisiter entièrement le contexte urbain.

Remettre en question les modèles et le savoir-faire industriel

Si la station Osmose remporte un tel succès, c’est parce qu’elle a remis en cause le modèle figé de l’Abribus historique, qui depuis bientôt cinquante ans, peuple nos rues. Un modèle élaboré dans les années 1960 ne peut plus correspondre à nos modes de vies qui ont été révolutionné ces dernières années. Mon travail de designer urbain est d’aller jusqu’au bout de cette réflexion, et cela commence par remettre en cause et tester les modèles établis. Aujourd’hui un Abribus doit pouvoir proposer de nouveaux services et être davantage ouvert sur la ville. On ne peut pas se contenter de dessiner un bel abri.

Pourquoi le mobilier urbain n’est plus immuable

A l’image de nos intérieurs dont nous changeons la décoration au gré des modes, pourquoi s’imposer un mobilier urbain obsolète ? Nos sociétés évoluent à toute vitesse, quel est alors l’intérêt de conserver un mobilier qui a perdu sa fonction première, et nous encombre ? La raison est que nous associons encore le mobilier à l’architecture. Mais leurs temporalités sont en fait bien différentes.

Afin de fluidifier l’espace public, renouveler régulièrement la réflexion à ce sujet est nécessaire. Redéfinir le contexte, les usages, les besoins. Cela engendre de nouvelles problématiques : quelle durabilité pour ce mobilier ? Quelle seconde vie pour ces objets devenus obsolètes ? Ces questions autrefois réservées à l’univers privé se poseront dans l’espace public.

Ma réflexion, après vingt-cinq années d’expérience, est sans cesse renouvelée. Loin d’être figée, elle s’adapte à chaque contexte, et les formes du mobilier changent à chaque fois. Tout cela en s’inscrivant dans une logique de production industrielle, qui nécessite un savoir-faire toujours plus sophistiqué.

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